TRIBUNE

Nous accusons la communauté extrémiste de porter atteinte à la France.

Quand une minorité se permet de couvrir un membre du gouvernement d’injures racistes, quand la mémoire de ceux qui ont combattu pour notre liberté est salie, quand un journal prête sa une à l’immonde, c’est la France qui est visée. La réponse est-elle à la mesure de l’affront fait à la nation tout entière ? Quand un tel tort est porté à la garde des Sceaux, c’est non seulement sa personne, mais aussi le peuple français qu’elle représente qui est injurié. Attaquer ainsi la ministre de la Justice, c’est porter deux fois atteinte au fondement même de notre République en méprisant la loi qui punit le racisme comme un délit, ainsi que la justice elle-même, qu’incarne pour nous tous Christiane Taubira. Insulter la garde des Sceaux, c’est rompre avec le pacte républicain et le réduire aux dimensions d’un extrémisme réactionnaire, imbécile et aveugle. Allons-nous laisser une minorité injurier impunément la France tout entière ?

Dans le silence actuel et dans la timidité des réponses à l’affront national qui nous est causé là, on ne peut nier qu’on devine une gêne profonde autrement inquiétante. Les Français attendent de nous, républicains engagés à gauche, de venir à bout des faux problèmes qui ont monopolisé le débat politique pendant les années Sarkozy.

Or, la responsabilité intellectuelle et politique revient à tous ceux qui se font les promoteurs d’une prétendue identité française malheureuse et en déclin. On évoque souvent, comme premier jalon de ce déclinisme, le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy. Mais qui a dénoncé son caractère anticonstitutionnel ? Pourtant, en soutenant que «la nationalité française doit pouvoir être retirée à toute personne d’origine étrangère», l’ancien président de la République s’était affranchi de la Constitution qui dispose qu’en France il n’y a pas des Français et d’autre part des «personnes d’origine étrangère» ayant la nationalité française, il n’y a que des citoyens, sans origine, ni race ni religion.

Au-delà des bancs des hémicycles parlementaires et de la solidarité gouvernementale, la parole semble tétanisée autour des bananes brandies contre la garde des Sceaux. En assumant silencieusement la propagande de l’extrême droite, reprise subrepticement et à des fins électoralistes par une partie de la droite, c’est le pacte républicain qui est compromis. Valider les problèmes de l’extrême droite, c’est la légitimer, sans qu’elle ait besoin de se dédiaboliser.

Le fait est aussi que Christiane Taubira a endossé la fonction de garde des Sceaux avec une hauteur de vue qu’on avait presque oubliée, tant la pensée politique s’est perdue depuis trop longtemps dans la paresse des slogans et dans l’affolement des scoops. Cette exigence politique et morale qui est la sienne, et qu’elle suit depuis le début de son exercice, est devenue la cible de ceux qui s’appuient sur la paresse et la malhonnêteté intellectuelles pour prospérer. Sous les attaques racistes adressées à Christiane Taubira, on devine aussi cette haine populiste de la pensée et de la culture.

Les citoyens sont conscients – et parfois pâtissent – d’une mondialisation mal régulée et mal assimilée. Les avancées de la technologie, le rapport à la culture, notre conception de la laïcité façonnent l’identité d’un peuple, mais ne peuvent pas conduire à banaliser les racismes. L’heure est à l’élargissement des imaginaires politiques, des différences qui alimentent notre identité, pour qu’ils soient en mesure d’influer sur le cours du monde au lieu de le laisser aux serres des rapaces. La politique ne pourra insuffler un autre ordre au monde qu’en se situant à son échelle.

Il nous faut manifestement encore des efforts si nous voulons, non pas seulement nous dire républicains, mais l’être pour de bon, avec une identité assumée et sans racismes populistes et de complaisance ou mondains. Il n’y a plus de temps à perdre si nous ne voulons pas laisser repeindre notre drapeau bleu blanc rouge par une minorité extrémiste qui rêve d’enfermer la nation à l’intérieur des frontières étroites de son communautarisme illusoire et nostalgique d’un pays qui n’a jamais existé. Les racines de la France, unies dans leur diversité vivante, ne sont pas cette chose morte que moquait déjà Molière dans l’Ecole des femmes : une souche.

Christophe GIRARD maire du IVe arrondissement de Paris et Guillaume PIGEARD DE GURBERT professeur de philosophie