Journal l’Humanité : entretien avec Patrick Baudouin Président de la LDH

Entretien avec Patrick Baudouin. Affaire Iquioussen : la LDH défend le droit

DROIT La demande d’expulsion de l’imam Hassan Iquioussen par le ministre de l’Intérieur et sa suspension par le tribunal administratif ont entraîné un emballement médiatique et politique que dénonce le président de la Ligue des droits de l’homme, Patrick Baudouin.

L’Humanité, le jeudi 11 août 2022

Le 5 août, le tribunal administratif a suspendu l’expulsion de l’imam Iquioussen. La Ligue des droits de l’homme (LDH) était intervenue volontairement pour soutenir la requête en référé liberté contre l’arrêté d’expulsion. Le ministre de l’Intérieur a été enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. Iquioussen. Gérald Darmanin a annoncé faire appel de cette décision devant le Conseil d’État.

Que reproche le ministère de l’Intérieur à Hassan Iquioussen ?

Dans l’arrêté d’expulsion, il est reproché à cet imam d’avoir tenu des propos à caractère fortement antisémite – dont les derniers ont été tenus en 2014 –, de porter atteinte aux valeurs républicaines, de tenir des propos plus ou moins complotistes en mettant en doute les attentats terroristes. Et le quatrième reproche est d’avoir tenu, il y a trois ans, des propos contraires à l’égalité hommes-femmes, du genre : la femme ne doit pas sortir sans être accompagnée… Ce sont les quatre reproches qui servent de base à l’arrêté d’expulsion, pour dire que l’on entre dans le cadre d’un article du Code des étrangers permettant d’expulser des personnes qui sont en France depuis plus de vingt ans, notamment au motif de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes déterminé.

Quelle est la position de la Ligue des droits de l’homme ?

Je tiens à rappeler que la LDH déplore et désapprouve absolument les propos qui ont pu être tenus par cet imam, que ce soit au niveau de l’égalité hommes-femmes ou de l’antisémitisme. Mais la question qui se pose est une question de droit : les motifs évoqués par le ministre de l’Intérieur sont-ils des motifs juridiquement sérieux qui permettent l’expulsion ? Nous avons considéré que tel n’était pas le cas, pour les raisons reprises par la décision du tribunal administratif, qui a ordonné le sursis à l’application de l’arrêté d’expulsion. Les propos antisémites ont été tenus il y a près de dix ans. Depuis lors, cet imam les a totalement désavoués. Sur la question des valeurs républicaines et du complotisme, le dossier produit par le ministre de l’Intérieur repose plus sur des allégations que sur des preuves. Il n’y a pas de preuves de propos récents, où il soutiendrait que la charia est la seule loi applicable. Concernant l’égalité hommes-femmes, au vu des éléments du dossier, il y avait certes des propos condamnables. Mais il n’y a jamais eu de procédures intentées contre cet imam. C’est assez rare d’expulser quelqu’un à qui l’on reproche la discrimination, les propos haineux ou portant à la violence et qui n’a pas été condamné. La notion évoquée de troubles à l’ordre public nous laisse extrêmement sceptiques.

Hassan Iquioussen vit en France depuis toujours. Il est né en France, il a eu la nationalité française et l’a abandonnée à l’âge de ses 16 ans pour prendre la nationalité marocaine, à la demande de ses parents. Ensuite, à deux reprises il a demandé la nationalité française qu’il n’a pas obtenue. Il a eu des titres de séjour renouvelés sans difficulté jusqu’à la dernière demande, en mai. Là, on le lui refuse et on lui présente un arrêté d’expulsion pour des faits anciens, reniés pour certains d’entre eux. Il est né en France, a vécu en France, a toute sa famille en France (5 enfants, sa femme, des petits-enfants). Il y a un droit fondamental qui est le droit à la vie privée et à la vie familiale. Il nous est apparu que la mesure d’expulsion était disproportionnée et injustifiée au regard des éléments produits par le ministre en l’état. C’est exactement ce qu’a retenu le tribunal administratif dans son jugement le 5 août.

Depuis quelques jours, une vidéo tourne sur les réseaux sociaux : celle d’un prêche de 2021 dans l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet aux propos anti-IVG, homophobes, contre lequel aucune action du ministère de l’Intérieur n’a été menée. Qu’en pensez-vous ?

Quand il y a des propos homophobes, le parquet peut se saisir du dossier, déposer une plainte pour propos homophobes et ça tombe sous le coup de la loi. La Ligue des droits de l’homme est très souvent partie civile dans ces procès-là, où il est question de propos antisémites, racistes, homophobes, contre les femmes. Il y a des lois pénales, des sanctions qui doivent être appliquées. Peu importe qui les tient, des Français nés en France ou des étrangers vivant en France : il faut poursuivre. L’imam aurait certainement dû être poursuivi il y a dix ans, mais ça n’a pas été fait. Le ministre a fait un recours devant le Conseil d’État et c’est son droit le plus légitime. Mais je trouve très choquants ses propos affirmant que l’imam n’a rien à faire sur le territoire français, alors que la justice est saisie. Il y a une séparation des pouvoirs. Le pouvoir judiciaire doit rester indépendant, et le pouvoir politique doit le laisser indépendant. Là, il y a une pression manifeste exercée par Gérald Darmanin.

Le secrétaire général des « Républicains », Aurélien Pradié, utilise, comme le RN, cette affaire pour remettre à l’ordre du jour la création d’une Cour de sûreté. Comment réagissez-vous à cela ?

Rétablir une Cour de sûreté, c’est créer à nouveau une juridiction d’exception telle qu’on en a eu dans le passé en France. Les juridictions d’exception portent atteinte à l’État de droit. Je trouve actuellement très dangereuse cette agitation médiatique du ministre de l’Intérieur, cette occupation des écrans avec beaucoup de rodomontades. Maintenant, ce sont les LR qui ne veulent pas donner l’impression d’être en retrait, et qui vont aller encore plus loin… Où va-t-on s’arrêter ? On a déjà tous les instruments juridiques. En matière de terrorisme, on est à 25 lois depuis 1985. À quoi cela sert-il ? C’est du clivage, sans cesse, pour opposer les camps, les Français, les étrangers… C’est une dérive. C’est bien qu’il y ait encore des juridictions comme le tribunal administratif – et je l’espère, le Conseil d’État – qui donnent des coups d’arrêt. Gérald Darmanin dit que si le Conseil d’État lui donne tort, il proposera de modifier la loi pour la durcir encore, alors qu’elle est suffisante pour lui permettre d’expulser… sauf quand le tribunal dit que les preuves ne sont pas suffisantes. M. Darmanin est mauvais joueur et ne veut pas s’incliner.

« Rétablir une Cour de sûreté, c’est créer à nouveau une juridiction d’exception telle qu’on en a eu dans le passé en France. Et porter atteinte à l’État de droit. »

« La notion évoquée de troubles à l’ordre public laisse la LDH extrêmement sceptique. »


Suspension de l’arrêté d’expulsion de M. Hassan Iquioussen.

05.08.2022

Le tribunal administratif de Paris suspend l’arrêté d’expulsion prononcé à l’encontre de M. Hassan Iquioussen

Communiqué LDH

La LDH (Ligue des droits de l’Homme) était intervenue volontairement au soutien de la requête en référé liberté contre l’arrêté d’expulsion pris à l’encontre M. Hassan Iquioussen estimant notamment, tout en condamnant certains des propos que l’intéressé aurait pu tenir par le passé, qu’un tel éloignement contreviendrait au respect dû à la vie privée et familiale de l’intéressé.

C’est pour l’essentiel sur ce raisonnement que le tribunal administratif a fait droit à sa requête en référé-liberté.

Le tribunal administratif retient que si l’intéressé a pu par le passé tenir des propos que désapprouve la LDH, ces propos anciens et non réitérés ont été suivis ces dernières années d’un appel au respect des valeurs de la République française.

Si le tribunal retient l’existence de propos rétrogrades tenus sur la place de la femme en 2018, il considère devoir les mettre en relief avec le fait que l’intéressé est né en France, y a toujours vécu et y a fondé une famille.

Le tribunal administratif estime dès lors que l’expulsion de M. Iquioussen présenterait un caractère disproportionné et serait prononcée en violation manifeste du droit au respect de sa vie privée et familiale.

La LDH se félicite de cette décision et de ce rappel au droit et au respect des libertés fondamentales adressé au ministre de l’Intérieur.

Paris, le 5 août 2022

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La section de Sarlat solidaire de la requête en référé-liberté pour l’imam Iquioussen

Arrêté d’expulsion de M. Hassan Iquioussen : la LDH appelle au respect du droit

Communiqué LDH

L’examen de l’arrêté d’expulsion censé justifier l’éloignement du territoire de M. Hassan Iquioussen n’a fait que confirmer la position de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) : l’expulsion du territoire français de l’intéressé serait effectuée en violation manifeste des règles de droit et notamment du droit au respect dû à la vie privée et familiale.

Des propos que la LDH désapprouvent au plus haut point et sans aucune réserve, datant de plusieurs années, ne sauraient en effet justifier son expulsion du territoire français, où il est né, y a toujours vécu et où il a fondé sa famille et alors même qu’il n’a jamais fait l’objet de la moindre condamnation pénale.

En conséquence, la LDH interviendra volontairement au soutien de la requête en référé-liberté présentée par son avocate et qui sera audiencée ce jour au tribunal administratif de Paris.

Paris, le 4 août 2022

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Le retour de la lettre de cachet ?

01.08.2022

Communiqué LDH

Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, et Georges-François Leclerc, préfet du Nord, refusent le renouvellement du titre de séjour d’Hassan Iquioussen, imam né à Denain en 1964, et s’apprêtent à l’expulser, parce que tel est leur bon plaisir.

Hassan Iquioussen est né en France. Il vit en France depuis sa naissance. Il a toujours eu un titre de séjour, qui a été renouvelé sans problème à chaque demande. Le comportement d’Hassan Iquioussen n’a pas changé entre les périodes avant ou après ces précédents renouvellements.

L’exécutif veut l’expulser en invoquant des raisons qui, pour l’essentiel, remontent à une vingtaine d’année, soit une époque antérieure à plusieurs renouvellements de son titre de séjour. Finalement, le seul fait générateur du refus de renouvellement aujourd’hui semble n’être que… sa demande de renouvellement. Pas de condamnation, pas de délit particulier : juste une instrumentalisation politico-médiatique du droit. Pas de danger imminent ni d’urgence quelconque : juste le bon plaisir d’un ministre qui, une fois de plus, donne des gages à l’extrême droite.

Hassan Iquioussen est, certes, un prédicateur musulman qui développe une vision particulièrement conservatrice de la religion, et une conception de la société et de la famille que nous sommes nombreuses et nombreux à trouver rétrograde et aux antipodes de nos valeurs. Que l’on sache, il n’est à ce jour sous le coup d’aucune condamnation pénale.

Il existe un principe clair dans une société laïque et démocratique : les seules limites à la liberté d’expression sont la possibilité pour autrui d’exercer la même liberté, et l’ordre public. Ce principe doit être respecté. Il est dommageable pour toutes et tous qu’un ministre, Gérald Darmanin, se sépare ainsi de ce principe au nombre de ceux qui fondent les valeurs de notre République.

La LDH (Ligue des droits de l’Homme) demande qu’il soit fait droit au renouvellement du titre de séjour d’Hassan Iquioussen.

Paris, le 1er août 2022


Utilisation des armes par les forces de l’ordre

20.07.2022

Lettre ouverte de Patrick Baudouin, président de la LDH, à l’attention des parlementaires

Madame la sénatrice, Monsieur le sénateur,

Pour la LDH (Ligue des droits de l’Homme), le dialogue avec les parlementaires est un enjeu important.

Nombre de sujets semble aujourd’hui diviser, voire cliver, notre société, et nous le regrettons. Défenseurs et défenseuses des droits de l’Homme, nous considérons que le respect de l’Etat de droit, et notamment des conventions internationales qui protègent les droits fondamentaux, doit être la base de tout dialogue concernant l’organisation des pouvoirs publics.

C’est pourquoi je souhaite par la présente lettre attirer votre attention sur la question de l’utilisation de leurs armes par les forces de police au regard de ces textes fondamentaux.

Les forces de l’ordre doivent pouvoir disposer d’armes en cas de nécessité, cela ne suscite aucune question mais elles ne peuvent utiliser celles-ci que de façon exceptionnelle, conformément aux principes de nécessité et de proportionnalité, et dans un cadre juridique qui doit tout à la fois être clair pour la police et protecteur pour toutes et tous.

La loi n°2017-258 du 28 février 2017 a créé l’article L.435-1 du code de la sécurité intérieure (CSI) qui énumère un certain nombre de cas dans lesquels les forces de police sont habilitées à faire usage de leurs armes.

Cet article avait pour objet de rassurer les forces de police, mais l’actualité récente démontre que les policiers maîtrisent mal les hypothèses dans lesquelles ils sont habilités à faire usage de leur arme, et que l’article L.435-1 du CSI a plutôt ouvert la voie à des interprétations dangereuses, plaçant les policiers dans une incertitude juridique croissante qui amène même certains d’entre eux à réclamer une présomption de légitime défense. Ceci n’est pas acceptable. Nous pensons que le cadre juridique doit être clarifié, mais aussi que le contrôle et les formations adéquates doivent être améliorés.

C’est pourquoi en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) et les avis ou rapports d’institutions de la République (CNCDH, Défenseure des droits ou Cour des comptes), la LDH a élaboré une note d’analyse que vous trouverez ci-joint comprenant un certain nombre de préconisations pouvant servir de base à une proposition de loi ou à des amendements lors de la prochaine loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur.

Je suis bien évidemment à votre disposition pour discuter de ces analyses et propositions.

Je vous prie de bien vouloir croire, Madame la sénatrice, Monsieur le sénateur, en l’expression de ma haute considération.

Les préconisations :

En vue de restaurer la confiance des citoyennes et citoyens envers les forces de l’ordre et dans le souci de protéger les individus contre une utilisation non nécessaire ou disproportionnée de la force par la police, la LDH sollicite en conséquence les parlementaires pour : 

1/ Déposer une proposition de loi pour supprimer l’article L.435-1 du code de la sécurité intérieure ;

2/ Déposer des amendements au projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur ou déposer des propositions de loi pour :

  • Suivre les recommandations institutionnelles issues de l’avis récent de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) pour rétablir la confiance entre la police et la population ;
  • Améliorer la formation initiale et continue des forces de l’ordre , tant sur les conditions d’utilisation (technique) des armes que sur l’expérience de terrain ; ainsi qu’une formation théorique, sur les conditions d’emploi (formation juridique), avec des cas pratiques, en incluant une formation sociologique pour prendre conscience des biais de comportement, amenant à une escalade des tensions, ou pouvant aussi amener à cibler davantage certaines populations considérées comme la « clientèle » policière ;
  • Exiger un renforcement du contrôle des armes et un suivi de leur usage par :
    • Un contrôle par le Parlement ­ de l’achat des armes afin d’en limiter le volume, notamment pour les armes les plus vulnérantes, ­ et du choix de l’armement de dotation des policiers et des gendarmes ainsi qu’un contrôle de l’existence d’un test des armes lors de simulations de situations, par un organisme indépendant, qui devrait être impératif ;
    • Un suivi obligatoire de l’emploi des armes, car les procédures judiciaires montrent que le report de l’usage d’une arme dans le fichier de traitement relatif au suivi de l’usage des armes (TSUA), n’est pas toujours effectué ou de façon lacunaire ;
    • Un recensement obligatoire par le ministère de l’Intérieur de tout décès ou de toute atteinte à l’intégrité physique d’une personne (au moins en cas de mutilation ou d’infirmité permanente) par une personne dépositaire de l’autorité publique utilisant une arme, en singularisant le cas de l’arme à feu et en tenant compte des recommandations de l’étude sur le « monitoring des décès » par les forces de l’ordre.

3/ S’inspirer de la proposition de loi sénatoriale visant à rétablir la confiance entre les citoyens et les forces de l’ordre par le renforcement d’une autorité indépendante en charge de la déontologie des forces de sécurité pour débattre de la création d’une autorité indépendante de contrôle de l’activité des forces de l’ordre ;

4/ Poursuivre la réforme constitutionnelle initiée en vue de rendre le parquet indépendant par-rapport à l’exécutif.


La liberté de création artistique et la liberté de diffusion…

la LOI n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine consacre son titre Ier aux DISPOSITIONS RELATIVES À LA LIBERTÉ DE CRÉATION ET À LA CRÉATION ARTISTIQUE et son Chapitre Ier aux Dispositions relatives à la liberté de création artistique

l’article 1  affirme que la création artistique est libre.

L’article 2 protège la liberté de diffusion des œuvres et prévoit un délit d’entrave à celle-ci.
Article 2 
 
I.-La diffusion de la création artistique est libre. Elle s’exerce dans le respect des principes encadrant la liberté d’expression et conformément à la première partie du code de la propriété intellectuelle. 
II.-L’article 431-1 du code pénal est ainsi modifié : 
1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : 
« Le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la liberté de création artistique ou de la liberté de la diffusion de la création artistique est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. » ; 
2° Au second alinéa, les mots : « à l’alinéa précédent » sont remplacés par les mots : « aux alinéas précédents ».

L’article 3 est consacré à la responsabilité de l’Etat, à travers ses services centraux et déconcentrés, et des les collectivités territoriales. Il réaffirme la libre diffusion des œuvres. Il se conclue ainsi
Dans l’exercice de leurs compétences, l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que leurs établissements publics veillent au respect de la liberté de programmation artistique.
Article 3 
 
L’État, à travers ses services centraux et déconcentrés, les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que leurs établissements publics définissent et mettent en œuvre, dans le respect  des droits culturels énoncés par la convention de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 20 octobre 2005, une politique de service public construite en concertation avec les acteurs de la création artistique.
La politique en faveur de la création artistique poursuit les objectifs suivants :
1° Soutenir l’existence et le développement de la création artistique sur l’ensemble du territoire, en particulier la création d’œuvres d’expression originale française et la programmation d’œuvres d’auteurs vivants, et encourager l’émergence, le développement et le renouvellement des talents et de leurs modes d’expression ;
2° Favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines de la création artistique ;
3° Garantir la diversité de la création et des expressions culturelles, en mobilisant notamment le service public des arts, de la culture et de l’audiovisuel ;
4° Garantir la liberté de diffusion artistique en développant l’ensemble des moyens qui y concourent ;
5° Favoriser la liberté de choix des pratiques culturelles et des modes d’expression artistique ;
6° Favoriser, notamment au travers des initiatives territoriales, les activités de création artistique pratiquées en amateur, sources de développement personnel et de lien social ;
7° Garantir, dans le respect de l’équité territoriale, l’égal accès des citoyens à la création artistique et favoriser l’accès du public le plus large aux œuvres de la création, dans une perspective d’émancipation individuelle et collective, et mettre en valeur ces œuvres dans l’espace public par des dispositifs de soutien adaptés, dans le respect des droits des auteurs et des artistes ;
8° Favoriser le dynamisme de la création artistique sur les plans local, national et international, ainsi que le rayonnement de la France à l’étranger ;
9° Mettre en œuvre, à destination de toutes les personnes, notamment de celles qui sont les plus éloignées de la culture, des publics spécifiques, ainsi que des jeunes, des actions d’éducation artistique et culturelle permettant l’épanouissement des aptitudes individuelles et favorisant l’égalité d’accès à la culture, en veillant notamment à la conception et à la mise en œuvre du parcours d’éducation artistique et culturelle mentionné à l’article L. 121-6 du code de l’éducation et en favorisant l’implication des artistes dans le cadre de leur activité professionnelle ;
10° Favoriser une politique de mise en accessibilité des œuvres en direction du public en situation de handicap et promouvoir les initiatives professionnelles, associatives et indépendantes visant à favoriser l’accès à la culture et aux arts pour les personnes en situation de handicap ainsi que leur contribution à la création artistique et culturelle ;
11° Favoriser l’accès à la culture dans le monde du travail ;
12° Soutenir les artistes, les auteurs, les professionnels, les personnes morales et les établissements de droit public ou de droit privé, bénéficiant ou non d’un label, qui interviennent dans les domaines de la création, de la production, de la diffusion, de l’enseignement artistique et de la recherche, de l’éducation artistique et culturelle, de l’éducation populaire et de la sensibilisation des publics et, à cet effet, s’assurer, dans l’octroi de subventions, du respect des droits sociaux et des droits de propriété intellectuelle des artistes et des auteurs ;
13° Garantir la transparence dans l’octroi des subventions publiques à des personnes morales publiques et privées intervenant en faveur de la création artistique et une évaluation régulière et partagée des actions menées ;
14° Contribuer au développement et au soutien des initiatives portées par le secteur associatif, les lieux intermédiaires et indépendants, les acteurs de la diversité culturelle et de l’égalité des territoires ;
15° Encourager les actions de mécénat des particuliers et des entreprises en faveur de la création artistique et favoriser le développement des actions des fondations reconnues d’utilité publique qui accompagnent la création ;
16° Promouvoir la circulation des œuvres sur tous les territoires, la mobilité des artistes et des auteurs ainsi que la diversité des expressions culturelles, et favoriser les échanges et les interactions entre les cultures, notamment par la coopération artistique internationale ;
17° Contribuer à la formation initiale et continue des professionnels de la création artistique, à la mise en place de dispositifs de reconversion professionnelle adaptés aux métiers artistiques ainsi qu’à des actions visant à la transmission des savoirs et savoir-faire au sein des et entre les générations ;
18° Contribuer au développement et à la pérennisation de l’emploi, de l’activité professionnelle et des entreprises des secteurs artistiques, au soutien à l’insertion professionnelle et à la lutte contre la précarité des auteurs et des artistes ;
19° Participer à la préservation, au soutien et à la valorisation des métiers d’art ;
20° Favoriser une juste rémunération des créateurs et un partage équitable de la valeur, notamment par la promotion du droit d’auteur et des droits voisins aux niveaux européen et international ;
21° Entretenir et favoriser le dialogue et la concertation entre l’Etat, l’ensemble des collectivités publiques concernées, les organisations professionnelles, le secteur associatif, les acteurs du mécénat et l’ensemble des structures culturelles et leurs publics.
Dans l’exercice de leurs compétences, l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que leurs établissements publics veillent au respect de la liberté de programmation artistique.
Dans la mesure où la programmation est libre, les élus n’ont pas à être consultés sur la programmation des films, même dans les établissements qui dépendent de leurs subsides.
Les visas sont accordés par le Ministre de la culture après examen du film par la commission de classification des films. Les visas ne dépendant pas des collectivités territoriales. Ils ont une portée nationale.
Les collectivités territoriales ne peuvent exiger une déprogrammation qui ne peut être ordonnée éventuellement que par une juridiction, ce qui est devenu rarissime à raison du système de classification mentionné plus haut qui a fait passer cette compétence au ministre de la culture.
Dans ces conditions, toute décision de déprogrammation prise par une collectivité locale est illégale.
En outre, elle est susceptible de constituer, si les conditions sont réunies, le délit réprimé par l’article 431-1 du code pénal (voir plus haut).
La programmation du film doit être maintenue et les débats prévus doivent avoir lieu.
L’Observatoire de la liberté de création se tient, dans la mesure de ses moyens bénévoles, à la disposition des instances concernées et des structures de diffusion pour que la loi soit respectée.
Ci-joint à titre informatif un projet d’article d’Agnès Tricoire pour la Scène avec l’aimable autorisation de Nicolas Marc qui est l’éditeur du guide de l’Observatoire de la liberté de création à paraître en janvier.
Jean Claude BOLOGNE, Agnès TRICOIRE, Daniel VERON
 
Co-délégués de l’Observatoire de la liberté de création
c/o LDH, 138 rue Marcadet 75018 PARIS
Tel : 01 56 55 51 15

L’État français ne tue pas les observateurs, il les enferme seulement

blogs.mediapart.fr

Camille Halut

33h de garde à vue en l’espace de quatre mois

○ Samedi 6 avril 2019 à Montpellier, des observateurs de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) dont je fais partie effectuent leur mission lors d’une opération de blocage d’une autoroute menée par des gilets jaunes. Nous nous positionnons à plusieurs endroits et nous observons les points de tension susceptibles d’annoncer une intervention des forces du maintien de l’ordre. Toutefois la force publique n’intervient pas et les manifestants quittent l’autoroute de leur propre gré. Je suis convoquée par la Police sur des motifs flous une vingtaine de jours plus tard, le 29 avril : je suis placée en garde à vue dès mon arrivée au commissariat, je suis privée de liberté pendant 9h.

○ Samedi 24 août 2019 à Bayonne, trois observatrices de la LDH dont moi-même sillonnent la ville à la recherche d’une manifestation du contre-G7 à observer. Nous présentons nos justificatifs de mission et le contenu de nos sacs à chaque contrôle de gendarmerie – c’est-à-dire à chaque intersection de rue ou presque, les gendarmes nous laissent repartir en nous indiquant que nous pourrons circuler librement pour effectuer notre mission. Eléonore, Natti et moi-même nous arrêtons un instant sur une grande place vide située près de la Nive. Une Brigade de répression de l’action violence motorisée (BRAV-M) se dirige vers nous et nous entoure. Les policiers procèdent au contrôle de nos identités et à une saisie – sans formalités – de notre matériel de protection (chasuble siglée de la LDH, casque, masques oculaire et respiratoire, set de protection de roller). Nous présentons nos pièces d’identités, nos cartes de membres LDH et nos mandats pour cette mission d’observation, nous précisons que le matériel est nécessaire pour effectuer la mission dont nous sommes chargées et que nous refusons de nous en défaire sans procès-verbal de saisie. Les policiers nous informent alors qu’ils nous placent en garde à vue, ils nous menottent avec des serflex et nous mènent au centre de rétention administrative de Saint-Jean-de-Luz. Nous sommes privées de liberté pendant 24h.

Des procès à la clef

○ Je serai jugée le 1er octobre 2019 à 8h30 au tribunal correctionnel de Montpellier pour l’observation de l’action sur l’autoroute : le procureur de la République me reproche d’avoir commis l’infraction d’« entrave à la circulation » en raison de ma seule présence sur le lieu de la manifestation.

○ Eléonore, Natti et moi-même avons reçu un rappel à la loi pour l’observation du contre-G7 et notre matériel de protection ne nous a pas été restitué : le procureur de la République nous reproche « d’avoir participé sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou de dégradation de biens, circonstance que les faits ont été commis en réunion » tout en se gardant d’expliquer comment nous l’aurions fait. De plus, le vice président du tribunal de grande instance de Bayonne précise dans chacun des rappels à la loi qui nous sont adressés « ne pas donner de suite judiciaire à la présente procédure, à la condition qu’elle ne commette pas une autre infraction dans un délai de 3 ans et qu’à défaut, elle sera poursuivie devant le Tribunal. »

Un glissement autoritaire confirmé

Un rappel à la loi n’est pas une décision de justice mais une « mesure alternative aux poursuites ». Il n’établit pas la preuve du fait reproché à son auteur ni sa culpabilité. Si l’affaire était finalement poursuivie devant un tribunal, ce qui est possible malgré l’émission de cet acte, le juge ne serait pas dans l’obligation de rendre une décision allant dans le sens du rappel à la loi. Dès lors, le rappel à la loi adressé à des observateurs LDH et a fortiori le procès pour entrave à la circulation constituent de véritables tentatives d’intimidation pour dissuader de continuer l’activité d’observation.

La procédure-bâillon est un vocable qui désigne, selon le Journal officiel de la République française n°0202, une « instrumentalisation de la justice mise en œuvre par une entreprise ou une institution, qui vise à prévenir ou à sanctionner l’expression d’une opinion qui lui serait préjudiciable, en impliquant notamment la personne qui formule cette opinion dans une procédure juridique coûteuse. » Cette méthode établit une censure visant généralement des sujets d’intérêt public. Elle est qualifiée d’ « abus de droit ». Son emploi est sanctionné notamment par l’article 32-1 du code de procédure civile. L’État utilise donc – au travers de ses appareils policier et judiciaire – une méthode qu’il prétend combattre.

Les évènements de ces deniers mois ont exposé aux yeux du monde entier que l’État français use de pratiques illégales pour maîtriser les mouvements sociaux qui aspirent à une démocratie moins usurpée. Ces pratiques illégales sont étendues vers ceux qui les dénoncent. La répression policière et judiciaire qui s’abat sur les observateurs LDH consolide ce constat et rappelle l’actualité du glissement autoritaire en cours.

Camille Halut
Observatrice LDH Montpellier

Système sécuritaire disproportionné (contrôles et fouilles systématiques, entraves à la liberté de circuler, interpellations et gardes à vue…) et utilisations abusives du « délit de participation à un groupement violent » ou comment manifester est devenu un délit.Système sécuritaire disproportionné (contrôles et fouilles systématiques, entraves à la liberté de circuler, interpellations et gardes à vue…) et utilisations abusives du « délit de participation à un groupement violent » ou comment manifester est devenu un délit.

  • Un Comité de soutien se constitue face au procès du 1er octobre 2019. Le texte du Comité est téléchargeable ici.Les organisations et les personnes qui le souhaitent peuvent se constituer signataires en adressant un courriel à montpellier@ldh-france.org.
  • Le récit de la répression effectuée sur les observateurs LDH lors du G7 en août 2019 a été raconté face caméra .
  • Un rapport relatif aux obstructions exercées par les forces du maintien de l’ordre sur les observateurs LDH constatées à Montpellier sur la période du 19 janvier au 9 mars 2019 avait été établi, rendu public et transmis notamment à l’organe préfectoral héraultais.

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Amazonie: Bolsonaro répond à la pression internationale

liberation.fr

Par Chantal Rayes, correspondante à São Paulo

Rien ne va plus entre Paris et Brasília. La Folha de São Paulo, premier titre du pays, évoque la crise bilatérale la plus grave en soixante ans, après la passe d’armes entre Emmanuel Macron et Jair Bolsonaro, autour des incendies qui ravagent l’Amazonie. Le président français a accusé son homologue brésilien de lui avoir «menti», en promettant, lors du G20 d’Osaka, de respecter les engagements du Brésil inscrits dans l’accord de Paris sur le climat, en échange d’un aval européen – plus que jamais compromis – à un traité de libre-échange UE-Mercosur. Une extrémité verbale qui en dit long sur la perte de prestige du Brésil sur la scène internationale, depuis l’arrivée au pouvoir du leader d’extrême droite, en janvier. Lequel a accusé son homologue français de faire montre d’une «mentalité colonialiste», en mettant au menu du G7 la question de l’Amazonie «sans la participation» des neuf pays du bassin amazonien, dont 60% se trouve au Brésil. Grossier comme son président de père, le député Eduardo Bolsonaro, qui brigue le poste d’ambassadeur à Washington, a pour sa part relayé une vidéo où un locuteur traite Macron d’«idiot».

Selon des sources diplomatiques citées par la Folha, Brasília s’apprêterait même à rappeler son ambassadeur en France, pour consultations, alors que des rassemblements pour la protection de la forêt se tenaient samedi dans plusieurs capitales.

«Je ne me souviens pas d’une mobilisation internationale d’une telle ampleur pour une question environnementale, commente Paulo Moutinho, de l’Ipam, un centre de recherches sur l’Amazonie. C’est historique». Les bravades de Jair Bolsonaro, autoproclamé «capitaine tronçonneuse», accusé de fermer les yeux, voire d’encourager le défrichement, ont fini par internationaliser la crise. Et une fois de plus, c’est l’armée qui est appelée à la rescousse, «pour éteindre l’incendie allumé par Jair Bolsonaro», ironise O Estado de São Paulo. Le Président va envoyer la troupe sur place pour tenter de contrôler les flammes, ce qui fait grincer des dents. Les feux à cette période de l’année, en pleine saison dite «sèche», quand le déboisement commence vraiment, «on sait que ça va arriver, comme Noël en décembre», dit une source militaire citée par le même journal, ajoutant que les alertes ont été ignorées par le gouvernement. La mobilisation de l’armée, pour laquelle l’Amazonie est un sujet ultrasensible, a aussi une portée symbolique : réaffirmer la souveraineté du Brésil sur sa forêt, à l’origine d’un nationalisme sourcilleux. Ici, résonne encore cette petite phrase de François Mitterrand, en 1989 : «Le Brésil doit accepter une souveraineté relative sur l’Amazonie».

Il était 20 :30 dans la capitale brésilienne, vendredi soir, lorsque le chef d’Etat d’extrême droite a prononcé une brève allocution, reçue dans les grandes villes du pays par un panelaço – un battement de casseroles -, pour protester contre sa politique de laisser faire environnemental. Sur un ton qui tranchait sur sa truculence habituelle, le président a promis une «tolérance zéro» envers le défrichement illégal. Il a appelé la population à dénoncer les incendies volontaires et monté une cellule de crise.

La pression internationale semble avoir payé. L’alerte est venue aussi de représentants de l’agronégoce, qui craignent désormais des représailles commerciales, alors que le mot-dièse #BoycottBrazil se répand sur les réseaux sociaux. «L’Europe est l’un des principaux clients de la production agricole du Brésil et c’est elle qui dicte la tendance de la consommation mondiale», s’inquiète Marcello Britto, président de l’Association brésilienne de l’agrobusiness, un secteur mis en cause dans le défrichement. Ses principaux moteurs étant l’élevage extensif, la culture du soja et le grilagem, soit l’appropriation des forêts publiques par des particuliers, à des fins de spéculation foncière. «Les agriculteurs qui sont contents aujourd’hui pleureront demain», a renchéri Kátia Abreu, une des figures du puissant lobby agricole au Congrès. «Le Brésil peut augmenter sa production agricole sans avoir à abattre un seul arbre, en exploitant des parcelles déjà déboisées et aujourd’hui abandonnées, reprend Paulo Moutinho. Mais le défrichement continue quand même… C’est frustrant». Ce spécialiste met cependant en garde contre la tentation d’un boycott indiscriminé. «Il y a certes des agriculteurs et des éleveurs qui s’adonnent à des pratiques prédatrices mais il y en a d’autres qui respectent les lois. La communauté internationale doit les reconnaître. Reconnaître aussi que protéger la forêt a un coût. Le Brésil doit être rémunéré pour les services environnementaux que la préservation de l’Amazonie rend à la planète».

Chantal Rayes correspondante à São Paulo


La charge du homard


L’affaire est grave. Grave parce que nous avons changé de monde. Parce que désormais, un nouvel acteur est monté sur la scène de l’histoire: monsieur tout-le-monde. L’avènement des réseaux numériques, pour le meilleur et parfois le pire a en effet radicalement changé la donne. Les mots et les images qui circulent (pour l’instant) librement sur la toile, inaugurent une représentation du monde parfaitement panoptique: chacun pouvant voir à distance sans forcément être vu. C’est un fait nouveau à cette échelle et dans le monde. Cela induit que l’information, autrefois distillée avec parcimonie, triée (pour ce qui est du non-visible par le commun) par les journalistes es-qualité de témoins privilégiés, est désormais accessible à chacun. Il y a en conséquence un fort différentiel entre les pratiques de l’ancien monde, que l’affaire présente situe sous les ors de notre République, et celles qu’inaugure cette nouvelle « pratique du monde ». Les images et les informations fusent: homards géants et vins fins disposés sur des tables richement ornées et l’on découvre soudain des ministres, soit des agents publics censés être tenus à l’exemplarité, se vautrer dans le luxe le plus inouï. Ce qui était autrefois épargné à nos contemporains leur est donc désormais accessible. Sans filtre…

Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si notre modernité n’était pas en proie à de sérieux problèmes sociaux: précarité; pauvreté; déclassement; chômage; perte de pouvoir d’achat etc…

C’est là que les images, plus que les mots, parce qu’elles sont par essence lapidaires, jouent un rôle central. Ce sont ces homards géants qui écrasent tous les arguments, dont certains ne sont pas ineptes d’ailleurs (les révélations sur la liste précise et complète d’invités aux agapes trancheront cette question). Ce sont ces tables où trônent ces bouteilles hors de prix, ces mets raffinés, cette lumière diffuse qui n’est pas sans rappeler du reste celle qui devait baigner les salons de Versailles sous l’ancien régime.

La Res-publica appartient à chaque citoyen. Et chaque citoyen est fondé en conséquence à la questionner et à exiger de la part de ses représentants, élus comme nommés, qu’ils agissent conformément aux valeurs qui sont à son fronton. C’est la raison pour laquelle cette affaire choque nos concitoyens. C’est aussi la raison, diamétralement opposée pour laquelle elle choque infiniment moins celles et ceux qui gravitent autour. Pour une raison simple: fréquentant l’orbite proche des sommets de l’état, ils sont sans doute moins choqués que le grand public car plus habitués…

François de Rugy n’est évidemment pas le seul à « profiter » des largesses de l’état, nous le savons bien, et si nous ne le savons pas, nous l’imaginons sans peine. Il est simplement celui par lequel le scandale est arrivé. A-t-il agi imprudemment, ébloui par les ors, fasciné, ivre du pouvoir qu’octroie la fonction? Sans doute. Plus certainement appartient-il à une génération politique moins pénétrée de la chose publique que ses anciens. On dit que le Général De Gaulle pour ne citer que le plus illustre d’entre eux, remboursait l’état pour le goûter de ses petits enfants. Mythe ou réalité? Cela parait néanmoins crédible. François de Rugy ne certes fût ni colonel de blindés ni combattant contre le nazisme, peut-être que ceci explique cela, mais ses victoires ont souvent été le fruit de trahisons, de compromissions, le fruit aussi d’une certaine habileté à se placer au bon endroit au bon moment. Et il n’est pas le seul dans ce cas. Prenons celui d’Emmanuel Macron: son arrivée à Bercy et le récit qu’en livre l’ancien secrétaire au budget Christian Eckert dans son ouvrage « un ministre ne devrait pas dire ça » est particulièrement éloquent. On y découvre un jeune ministre obnubilé par son avenir, préparant sans relâche avec l’aide de sa femme sa campagne présidentielle, au mépris de la gestion de son ministère et multipliant les rencontres avec le tout Paris…

C’est donc l’avènement d’une certaine classe politique, dont les valeurs et l’attachement à la chose publique ne sont plus ce qu’elles ont été, et la permanence d’un train de vie à l’ombre des palais que la lumière pénètre enfin qui explique le choc de ces révélations.

Deux solutions s’imposent. Pour parer au plus urgent, le ministre devrait faire amende honorable, rembourser jusqu’au dernier denier public et démissionner. La seconde démarche serait de réformer – pour peu que ce mot veuille encore dire quelque chose – les ministères et les palais de la République en y injectant plus de sobriété tout en conservant leur lustre. La tradition Républicaine devrait survivre à cette nécessaire mue.

Et nos concitoyens se sentiraient sans doute infiniment mieux représentés. L’enjeu est central. Car il conditionne une chose indispensable à toute action publique et démocratique : le consentement.

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Macron et les médias : «On n’est plus au temps de l’ORTF»

Par Léa Mormin-Chauvac

Alexis Lévrier est maître de conférences à l’université de Reims, chercheur associé au Celsa et auteur du livre le Contact et la Distance (Les Petits Matins).

Les récentes convocations de journalistes par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) sont-elles inédites ?

Il y a des précédents : Edwy Plenel avait été convoqué en 2017, les journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme en 2016. Ce qui est surprenant aujourd’hui, c’est l’intensité, l’accumulation des convocations. Neuf en quelques semaines, on n’avait jamais vu ça.

Sous les précédents quinquennats, les journalistes devaient-ils également composer avec une défiance présidentielle parfois brutale ?

De ce point de vue-là, on est plutôt revenu à un monde très ancien avec un rapport surplombant et méprisant envers la presse. Macron a voulu rompre avec des dérives qu’il a pu constater de l’intérieur lorsqu’il était ministre, à savoir la trop grande proximité de Hollande avec le monde journalistique. Au début de son quinquennat, le Président avait parlé de «saine distance» et je pense que ce diagnostic était plutôt bon. Mais il est allé très loin en choisissant de renouer avec une «présidence jupitérienne», une expression forgée par le communicant Jacques Pilhan pour faire de Mitterrand un président en surplomb, inaccessible. La doctrine Pilhan est caractérisée moins par une rareté que par une arythmie de la parole du chef de l’Etat. Macron a voulu reprendre cette maîtrise des mots et des lieux, cette image de maître des horloges. Il a choisi de marcher dans les pas de prédécesseurs, Mitterrand ou De Gaulle, qui ont assumé une conception verticale, monarchique du pouvoir, ce qui induit un rapport particulier avec la presse. Sauf que le monde médiatique a changé : on n’est plus au temps de l’ORTF. Sous Mitterrand, Pilhan a pu maîtriser la com du Président car il misait tout sur la télévision, le journal de 20 heures. On est aujourd’hui dans une ère d’instantanéité, de prolifération. Il est beaucoup plus difficile de miser sur la rareté ou l’arythmie.

Pourquoi ?

Parce que le public désire être informé. Pilhan pouvait cacher les secrets de Mitterrand sur son passé, sa santé, sa famille. C’était accepté et possible car on pouvait faire pression et mettre Edwy Plenel sur écoute, ce qui poserait beaucoup de problèmes aujourd’hui, heureusement.

L’affaire Benalla, ce n’est pas que la Contrescarpe, c’est aussi quelqu’un qui a cru qu’on pouvait utiliser la brutalité physique à l’égard de la presse. Car Benalla avait pour mission, entre autres, de mettre à distance les professionnels indésirables. Dans le livre Mimi (Grasset, 2018), des journalistes racontent la volonté d’écarter des photographes de façon parfois violente.

Autre exemple, le cas de Sébastien Valiela, qui est représentatif des rapports changeants entre la presse et le pouvoir. En 1994, il prend la photo de Mazarine, qui ne paraît dans Match qu’avec l’accord de l’Elysée. Vingt ans plus tard, il photographie un autre François, en scooter, mais cette fois l’image est publiée dans Closer sans demander l’avis du Président. Or le même Valiela, qui fait aujourd’hui partie des photographes travaillant pour «Mimi» Marchand, prend des photos du couple Macron, avec l’accord du pouvoir. Il bénéficie de la faveur du prince au détriment d’autres professionnels, qui sont mis à l’écart. C’est symbolique d’un incroyable retour en arrière.

Est-ce une spécificité française ?

La volonté de protéger des secrets d’Etat existe partout. Evidemment, le pouvoir, pour des raisons de sécurité nationale, ne veut pas que des informations soient révélées. La différence est qu’on a moins d’attachement en France à l’égard de la liberté de la presse que dans le monde anglo-saxon. L’interview proposée par la présidence à la presse quotidienne régionale pour les élections européennes, par exemple, est inenvisageable outre-Manche car elle a été voulue, relue et corrigée par l’Elysée. Les médias étrangers, choqués, se sont demandé comment on pouvait accepter d’être un relais de la communication du Président. Mais ça change, la levée de boucliers contre les convocations par la DGSI le prouve. Certaines dérives ne sont plus acceptées, et c’est tant mieux.

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Léa Mormin-Chauvac