The Immigrant de James Gray

Du «Parrain II» à «The Immigrant», par James Gray

Il y a un peu plus d’un mois, prévoyant d’écrire sur The Immigrant — article disponible ici —, j’envoyais par e-mail quelques extraits de films à James Gray, dans l’idée de les lui faire commenter en rapport à son propre film. Le premier envoi comportait quelques minutes des Bonnes Femmes (1960) de Claude Chabrol et l’arrivée à Ellis Island, au début du Parrain II (1974) de Francis Ford Coppola. D’autres extraits devaient suivre, de films — réalisés par Carl Dreyer, Robert Bresson, Luchino Visconti… —, ainsi que d’opéras. Mais James Gray a été trop happé par une longue tournée européenne — Paris, Lille, Lyon, Rome, Estoril, Zurich, Reykjavik… —, pour répondre comme il l’aurait voulu. Il y a quelques jours, il a toutefois trouvé le temps de rédiger quelques beaux paragraphes à propos de l’influence profonde du  Parrain II sur The Immigrant. Qu’il en soit remercié. Voici le texte de son commentaire, en français (la traduction est de Pauline Soulat), puis en anglais.

L’arrivée de Vito Corleone à Ellis Island, au début du « Parrain II ».

Texte français

Le Parrain II a été une inspiration majeure pour The Immigrant. Je me souviens avoir été marqué par la puissance du film la première fois que je l’ai vu – je devais avoir douze ans. C’est peut-être simplement parce que je me sentais touché personnellement ; c’était la première fois que je voyais un film faire directement référence à un moment clé de l’histoire américaine, qui renvoyait à ma propre expérience. Le début montre l’arrivée en masse des migrants aux États-Unis dans le premier tiers du 20ème siècle, avec beaucoup de précision et de clarté. Je pouvais enfin mettre des images sur les histoires que me racontaient mes grands-parents. Ils m’expliquaient (dans la mesure du possible car cinquante ans après, leur anglais restait très limité) comment se passait l’arrivée en Amérique, le passage par Ellis Island. Tout cela n’était plus une abstraction. Je pouvais enfin mettre des images sur leurs mots.

C’est ainsi qu’est né mon intérêt pour le film – et il ne s’est pas arrêté là. J’étais fasciné par son style, l’attention portée aux détails, l’incroyable force du récit. On aurait dit un opéra. Je me rends compte aujourd’hui que Nino Rota doit beaucoup au Turandot de Puccini. Je me suis mis tard à l’opéra. Je devais avoir 25 ans quand Verdi, Puccini, Donizetti, Bellini et Wagner, sont devenus mes amis. Mais le style de Coppola, l’expression et la sincérité des émotions, la compassion pour les personnages, l’amplitude du récit, son regard sans concession sur l’Histoire, s’inscrivaient dans cette tradition. J’ai commencé à adorer non seulement l’œuvre de Coppola, mais aussi tout ce qui l’avait influencé. Pour plusieurs raisons, Coppola et Le Parrain II sont les meilleurs profs de cinéma que j’ai jamais eus.

Plus important, le style semblait en connexion absolue avec le sujet. Le fond et la forme ne faisaient qu’un. A sa grande époque, l’opéra était un art populaire – peut-être le seul avant l’arrivée du cinéma. L’utilisation du clair obscur était en parfaite harmonie avec le médium. J’avais le sentiment profond que le film étreignait visiblement la spiritualité, la solennité, la sincérité. Avec un style que l’on pourrait qualifier de « classique », Le Parrain II a atteint une grande vérité. Il raconte une histoire qui livre avec vigueur et courage une idée complexe de ce qu’est le drame. Il approuve le Rêve américain en même temps qu’il le détruit.

Le récit est à la fois ample et subtil. D’aucuns diraient shakespearien. Peut-être – sans doute ? – le titre, et son révolutionnaire « Partie II », étaient-il là pour rappeler l’une des histoires du Barde ? Pousse toi, Henry IV, Partie II !

Tout cela a fait son chemin dans mes films. Je ne pouvais faire autrement que de voler Le Parrain II, car il incarnait mes obsessions personnelles. Or pour un artiste, rien ne compte que d’être personnel. En dépit de sa noirceur, ce film montre une reconnaissance belle et sincère de notre humanité – une véritable compassion pour les luttes qui nous consument tout au long de notre vie. Au final, il représente pour moi le meilleur de ce que peut le cinéma, sa vocation, et celle de l’art en général.

 

Texte original anglais

The Godfather, Part Two was a major inspiration for The Immigrant.  When I first saw it–I think I was twelve years old–I remember thinking how powerful it was.  Perhaps the main reason I felt this way was that I related to it personally; it was the first film I’d seen which referred directly to a key moment in modern American history, one which directly touched my own experience.  The beginning of the film depicted the mass migration to the United States in the first third of the 20th century with great specificity and clarity, and at last I could put images to the stories my own grandparents told me.  They spoke to me (well, as much as they could, because their English, even 50 years later, was very limited) about what it was like to come to America through Ellis Island, and no longer was it an abstraction.  I could now put images to the words.

So my interest in that movie started there–but it certainly didn’t end there.  Connected to the picture’s remarkable attention to detail and its stunning narrative force was a stylistic statement which fascinated me.  It seemed like an opera, and I recognize now Rota’s debt to Puccini’s Turandot in its score.  I came to opera relatively late; I think I was in my mid-twenties before I made Verdi, Puccini, Donizetti, Bellini, and Wagner my good friends.  But Coppola’s style, the open and sincere emotionality, the compassion for the characters, the sense of sweep in the narrative and the unflinching look at history, embraced this tradition.  In turn, I came to adore not just the Coppola work but so much of what influenced him.  In many ways, Francis Coppola and The Godfather, Part Two were the best film school teachers I ever had.

More important, the style seemed entirely connected to the subject.  Form and content were one.  Opera was a popular medium at the time–perhaps THE popular medium before cinema came along–and the film’s chiaroscuro visual strategy seemed in sync with the medium.  I felt deeply an open embrace of the spiritual, the solemn, the sincere.  In doing something which might be labeled « classical « , The Godfather, Part Two found a greater truth.  It told a story which bracingly, bravely, presented a complex idea of drama.  It both embraced and eviscerated the American dream.  

And in its telling, it was both broad and subtle.  Shakespearean, one might say.  Perhaps–probably?–the title itself, with its then-revolutionary « Part Two » attached, was meant to recall one of the Bard’s histories.  Move over, Henry IV, Part Two !

All of this found its way into my work.  I could not help but steal from it, because everything the Coppola film seemed to embody were the things about which i was obsessed and found personal.  And for the artist, to be personal is everything.  Despite the darkness, there is a genuine and beautiful acknowledgement of our humanity–a true compassion for the lifelong struggles which consume us.  In the end, for me, that is the best that cinema can do.  That is cinema’s, and art’s, true calling.