L’accès des journalistes aux centres de rétention, une nécessité
Publié : 26/04/2013 Classé dans : Etrangers Poster un commentaire
Mediapart
Comment témoigner des conditions d’enfermement des étrangers dans les centres de rétention administrative (CRA) si l’accès à ces lieux est interdit ?
Dans un avis, rendu public le 25 avril, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) demande à la ministre de la justice Christiane Taubira d’autoriser les journalistes à y entrer et enquêter. Elle préconise que la garde des Sceaux intègre cette ouverture dans son projet de loi en préparation sur le renforcement de la protection du secret des sources.
Lors de l’assemblée plénière, les membres de la CNCDH ont noté que l’article 5 de l’avant-projet de loi prévoit que les journalistes titulaires de la carte de presse puissent accompagner les députés et les sénateurs ainsi que les représentants au Parlement européen élus en France lors de leurs visites d’établissements pénitentiaires. « Cette disposition va dans le bon sens », indiquent-ils. Mais c’est insuffisant. « La CNCDH, poursuivent-ils, s’interroge sur le fait que ce droit de visite soit limité aux seuls établissements pénitentiaires, et uniquement pour les journalistes qui accompagnent un parlementaire. La CNCDH fait siennes les revendications de nombreux acteurs de la société civile tendant à l’ouverture aux journalistes des établissements pénitentiaires, centres de rétention administrative, zones d’attente et locaux de garde à vue dans des conditions fixées par décret, même en dehors de la présence de parlementaires. »
Comme le laisse entendre l’avis, la Commission a entendu des participants à la campagne Open Access Now, lancée en octobre 2011 et portée par des associations de défense des droits des étrangers et des journalistes, pour déverrouiller les portes des centres de rétention en Europe, et, plus généralement, de l’ensemble des établissements où des étrangers sont privés de leur liberté. « Les étrangers ne sont pas des délinquants, ils n’ont pas été condamnés », a indiqué Claire Rodier, juriste au Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), lors de son audition. Elle a dénoncé « l’opacité qui entoure l’enfermement et favorise les dérives » et estimé nécessaire de « trouver des formes de transparence qui passent par la présence des journalistes et des associations ».
Cette revendication ne tombe pas du ciel. Elle se fonde sur la liberté d’information, d’une part, consacrée notamment par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, et la liberté d’expression des personnes retenues, d’autre part, prévue à l’article 551-2 alinéa 3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers en France.
«C’est un avis éclairant qui sera utile à la réflexion du ministère de la justice dans le cadre des orientations données par le premier ministre sur les différents textes de loi concernant la moralisation de la vie publique», a déclaré à l’AFP Pierre Rancé, le porte-parole de la Chancellerie.
Aujourd’hui, la mise en œuvre de ces deux principes fondamentaux est entravée. Sur les conditions d’entrée des journalistes, la législation est muette. Elle n’interdit rien formellement, mais ne prévoit rien non plus. Si bien que les journalistes n’obtiennent le plus souvent pas de réponses à leurs demandes, qu’ils ne savent en premier lieu pas à qui adresser. En l’absence de règles, il n’existe aucun recours. Lorsqu’un refus est exprimé, il n’est en général pas motivé.
L’arbitraire est de mise. Aussi bien, des autorisations peuvent être délivrées. Au compte-gouttes et sans savoir ce qui vaut un laissez-passer. Deux de mes demandes ont ainsi abouti en France : au CRA du Mesnil-Amelot en 2006 et au Dépôt sur l’île de la Cité en 2008. De récentes sollicitations au cabinet du ministre de l’intérieur Manuel Valls restent en souffrance, malgré des relances.
Dans un État de droit, cette exigence d’entrer et voir est une nécessité. Dans le respect de leur droit à l’image et de la vie privée, les étrangers enfermés, en instance de reconduite à la frontière, doivent pouvoir être entendus. La manière dont ils sont traités par les autorités publiques doit être documentée. Et cela d’autant plus que ces sans-papiers font l’objet de mesure administrative et sont parfois expulsés avant même qu’un juge judiciaire n’ait pu se prononcer sur leur sort. Au sein de l’UE, environ 600 000 personnes, parmi lesquelles des enfants, sont détenues chaque année et risquent jusqu’à dix-huit mois d’enfermement, au seul motif que leur document de voyage et/ou leur titre de séjour n’est pas en règle. L’an dernier, plus de 252 000 d’entre elles ont été expulsées.
Dans le cadre de la campagne Open Access Now, initiée par le réseau Migreurop et l’association Alternatives européennes, une quinzaine de députés européens ont annoncé le 24 avril leur intention d’exercer leur droit de visite dans des centres de rétention. Le nombre de lieux d’enfermement est passé de 324 en 1999 à 473 en 2011 dans l’UE et à ses frontières, en plus des lieux cachés, comme les locaux de commissariats et des cabines de bateaux, fréquemment utilisés, mais de manière temporaire, donc difficiles à pister. L’eurodéputée des Verts Hélène Flautre a promis d’être aux avant-postes avec sa collègue de la gauche communiste (GUE-NGL), Marie-Christine Vergiat.
Amnesty International vient de son côté de remettre au Parlement européen une pétition de plus de 70 000 signatures demandant de veiller à ce que l’UE et ses 27 États membres respectent les droits des migrants et fassent preuve d’une plus grande transparence en la matière.
La boîte noire :En tant que journaliste enquêtant sur les questions migratoires, je soutiens la campagne Open Access Now. À ce titre, j’ai fait partie de la délégation de trois personnes auditionnées le 17 avril par la CNCDH, aux côtés de Claire Rodier du Gisti et de Laure Blondel de l’Anafé.
« Cliniques, cultures et société, comment comprendre les traumas de l’exil ? »
Publié : 26/04/2013 Classé dans : Etrangers, Infos locales Poster un commentaireAvant-propos à la conférence de CLAIRE MESTRE, psychiatre, anthropologue, sur le thème :
« Cliniques, cultures et société, comment comprendre les traumas de l’exil ? »
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Pour illustrer la particularité de ces réalités que sont les psychotraumatismes, et leurs soins psychiques, et toutes les conséquences psychiatriques, sociales, et politiques que cela contient, je propose de communiquer un extrait d’un compte rendu de rencontre psychothérapique d’un réfugié kurde.
Ce compte rendu a été écrit par Françoise SIRONI qui est psychologue clinicienne, maitre de conférences à Paris 8, Expert près de la Cour d’Appel de Paris, et près de la Cour Internationale de La Haye. Elle indique brièvement la situation de ce patient qui est un réfugié, un jeune homme de 20 ans qui a été arrêté plusieurs fois et longuement torturé par l’armée turque qui le soupçonnait de ravitailler et de renseigner les combattants des montagnes kurdes, en particulier parce qu’il est le neveu d’un opposant kurde connu. Si je cite cet exemple, c’est parce que citer un exemple de ma pratique m’obligerait à modifier complètement, pour des raisons de confidentialité, les situations que j’ai rencontré.
Ce réfugié, qu’elle nomme Vakas, est donc installé avec le traducteur en face de Françoise SIRONI, et elle écrit : « Chose frappante, Vakas me paraissait totalement absent. Ses yeux ne regardaient que le sol…un point situé devant mes pieds. Il parlait de façon hachée et hâtive, comme si chaque mot lui était arraché de la bouche. Je pensais alors à l’article que j’étais en train de lire, celui d’Abraham Serfaty intitulé Face aux tortionnaires (1984), et dans lequel il écrivait que parler de la torture, c’est comme extirper une vomissure restée enfouie au fond de votre gorge. Vakas s’agitait, ses yeux demeuraient grands ouverts sur des images ou des scènes que je ne pouvais voir. Entendait-il parler ses tortionnaires dans sa tête. A l’époque, je ne réalisais pas que c’est précisément ce que j’aurais du lui demander, en séance, pour l’arracher des lieux de tortures où ces images et ces pensées le ramenaient inlassablement. Ce que je voyais, de toute évidence, c’est qu’il y était bel et bien à nouveau dans les lieux de torture. Dans lequel ? Que s’y passait-il ? Avec qui ? Que lui disait-on, en plus des actes ? Là aussi, je ne savais pas encore faire. Je constatais très nettement à quel point Vakas n’était plus le même qu’en début de séance. « Et pourtant, je n’ai presque rien dit ! », m’étonnais-je alors en mon for intérieur. J’étais perplexe et angoissée. Rien de ce que j’avais vu précédemment au cours de ma pratique clinique ne me permettait pas de rassurer la jeune clinicienne que j’étais. Vakas se balançait douloureusement de droite à gauche sur son siège, sans arrêt. Il se frottait nerveusement les mains et soufflait bruyamment, de plus en plus fort. A chaque fois que j’essayais de le ramener dans la séance présente par des questions concernant sa vie actuelle, il me répondait d’une manière qui me laissait sans voix. Lui qui avait été jusqu’alors si affable se mit soudain à produire des mots de colère, des mots hachés, lâchés à la hâte, et qui faisaient tous référence à son passé. Ce n’était plus tout à fait des mots, ni tout à fait des cris. L’interprète avec qui je travaillais avait arrêté de traduire. Il ne composait plus de phrases. J’avais parfaitement conscience qu’il était devenu un autre.
Mais j’avais encore davantage conscience de mon impuissance à le sortir de cet état!…Je touchais du doigt l’évidente nécessité d’agir et de poser des actes dans ce type de situation. Les paroles, ou pire encore le silence d’une soi-disant « bienveillante neutralité », étaient de toute évidence totalement contre-productives. Je ne faisais que répéter, par le dispositif thérapeutique, la situation d’interrogatoire. « Parle, je t’écoute ». Tout ce que je faisais d’habitude en psychothérapie était rendu caduc par la prégnance du réel. Il le savait bien tout cela, Vakas, quand il disait, au début de la séance : « Vous ne pouvez pas me comprendre, vous ne pouvez pas savoir ce qu’ils m’ont fait ».
Je me mis alors en colère, balayant d’un revers de main toutes mes incertitudes. J’appelais Vakas, emprisonné dans la torpeur de la reviviscence traumatique, j’appelais Vakas d’une voix très ferme, à peu près comme ceci : « Vakas ! Vakas…je vous parle ! Vous m’entendez ? Vous devez m’écouter. Vous êtes ici. Oui, ici avec nous ! Pas là bas, avec eux ! Croyez-moi, je vais m’occuper d’eux. Je vus promets que je vais m’occuper de ce qu’ils vous ont fait…
Même si je n’avais pas moi-même connu la torture et la répression politique, je haïssais ses tortionnaires, en cet instant ; certainement pour les éloigner de Vakas. »
Ceci est un passage de l’article La psychothérapie des victimes de torture, antidote contre les bourreaux de Françoise SIRONI dans l’ouvrage Manuel des pychotraumatismes – cliniques et recherches contemporaines, rédigé sous la direction de Marie Rose MORO, et avec des contributions diverses dont une de Claire MESTRE et collaboratrices sur la transmission des traumatismes de la mère au bébé.
Si je cite cet exemple, très illustratif de la clinique des psychotraumatismes, et très illustratif des nécessaires adaptations conceptuelles des modalités de soins, c’est pour lutter contre l’idée que l’on voudrait avoir que de tels cas sont rares, très particuliers, et donc que l’on n’a pas à s’indigner des maltraitances de la reconnaissance des psychotraumatismes en général, et des psychotraumatismes qui minent l’existence d’un grand nombre d’étrangers exilés en France, et ici en Dordogne comme partout.
Si je cite cet exemple, c’est pour indiquer que nous recevons à Périgueux, comme ailleurs, des patients qui sont isolés dans leurs vécus traumatiques, dans leurs réminiscences, qui inquiètent ou perturbent leurs entourages, qui s’effondrent physiquement en séance, qui sont persuadés que les auteurs des violences ou tortures les ont suivis dans leurs exils et qu’ils les voient quotidiennement, donc après les tortures et violences qu’ils ont enduré par des armées ou groupes armés, par des forces de polices corrompues, ou des agents mafieux agissant par la terreur pour racketter. Ce qui existe aussi, ce sont les manifestations moins manifestes, mais tout aussi significatives et handicapantes pour la vie que sont entre autres l’isolement et le repli, des dépressions et somatisations chroniques.
Je vais maintenant situer trois chapitres que je ne ferai qu’ébaucher, pour qu’ils trouvent des développements et éclairages avec l’intervention de Claire MESTRE, et pour que nous en discutions ensuite :
1) Qu’elle est l’importance de ces souffrances pour les exilés, et quelles sont les réponses qui sont données à ces souffrances?
2) Qu’est-ce que c’est que les psychotraumatismes, ou les états post traumatiques?
3) Quels sont les enjeux cliniques, idéologiques, sociétaux, et politiques de ces réalités?
I)- Qu’elle est l’importance de ces souffrances pour les exilés, et quelles sont les réponses qui sont données à ces souffrances?
On peut se référer à différentes sources :
a) Le rapport sur l’admission au séjour des étrangers malades de mars 2013 par l’Inspection Générale de l’Administration du Ministère de l’Intérieur, et l’Inspection Générale des Affaires Sociales du Ministère de la Santé indique qu’en 2011, il y a eu en France 36615 demandes de droit de séjour sur le territoire pour raison de santé, et que 27497 ont bénéficié de ce droit, et que 22% l’ont été pour raison psychiatrique, ce qui ferait 6050 sujets, en tenant compte du fait que la grande majorité sont des sujets vivants des pathologies psychotraumatiques.
Rappelons que le droit de séjour en France est accordé pour un an maximum, renouvelable, pour des affections, somatiques ou psychiques, évaluées par le terme « d’exceptionnelle gravité », et dont la décision appartient au préfet sur avis du Médecin Inspecteur de l’ARS, qui lui-même préconise un avis, sans voir le patient, mais avec le compte rendu d’un médecin spécialiste hospitalier, ou agréé par l’ARS et la préfecture. Notons au passage que ce rapport, qui préfigure une modification règlementaire et législative du droit de séjour pour raison de santé, qui a été rédigé par plus de fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur que de ceux du Ministère de la Santé, et ce, en consultant plus de 100 responsables des ministères, des préfectures, des ARS (Agence Régionale de Santé), et des CRA (Centre de Rétention Administrative), mais en ne consultant que trois membres de structures de soins pour étrangers, ce rapport indique un taux très variable de reconnaissance par les ARS et les préfectures de ces demandes, qui va de 34% à 99% selon les départements, pour une moyenne nationale de 74%, et que, si on examine la répartition de ces reconnaissances, on voit que les taux les plus bas sont dans le Nord-Est et le Sud-Est de la France (territoires bien connus de l’extrême droite), le commentaire de ce rapport est que les taux élevés le sont lorsque les Médecins Inspecteurs des ARS sont bienveillants, sans que ce rapport, très soucieux des fraudes possibles, ne prête attention à ce qu’il y aurait alors de malveillants ou d’ignorances.
b) D’après le COMEDE (Comité Médical de Défense des Exilés), qui est une structure de soins au sein de l’hôpital Kremlin-Bicêtre, « Entre 2004 et 2010, parmi les 17 836 personnes ayant consulté un médecin dans les centres de santé du Comede, plus de 60 % avaient subi des violences dans leur pays d’origine, et près d’un quart la torture [c’est-à-dire plus de 4000, en 6 ans, uniquement pour la consultation de cet hôpital parisien]. Le taux de prévalence des psychotraumatismes à la première consultation était de 112 ‰. Il était le plus élevé chez les personnes âgées de 29 à 49 ans, chez les femmes, et variait selon la nationalité. Ces résultats montrent une forte prévalence des syndromes psychotraumatiques dans cette population.»
Arnaud Veïsse, Laure Wolmark, Pascal Revault, « Santé mentale des migrants/étrangers : mieux caractériser pour mieux soigner », Bulletin épidémiologique hebdomadaire n° 2-3-4, janvier 2012, p. 36-39.
c) Le Livre blanc publié en 2012 par le Centre Primo Levi, intitulé « SOIGNER LES VICTIMES DE TORTURE EXILEES EN FRANCE », et préfacé par Simone Veil, rappelle l’estimation du Conseil international pour la réhabilitation des victimes de torture, selon laquelle, parmi les exilés, 20 à 30% ont été victimes de tortures.
Et alors ce Livre blanc (consultable sur leur site) indique que : « En France, le nombre de réfugiés sous statut avoisine les 160 500 personnes. Au moins 50 000 d’entre elles seraient donc concernées par la torture. Ce chiffre est largement sous-estimé dans la mesure où il ne prend pas en compte les victimes d’autres formes de violences politiques, ni les personnes déboutées du droit d’asile, ni a fortiori celles n’ayant pas déposé de demande. Chaque année, sur les 50 000 demandes d’asile déposées, seules 15 % reçoivent un avis favorable. Une partie non négligeable des débouté·e·s restera sur le territoire plusieurs années encore, en situation irrégulière. Sur les dix dernières années, ce sont donc 500 000 demandeurs d’asile, soit 125 000 personnes victimes de la torture qui seraient concernées. Chiffre sans doute plus conforme à la réalité. »
Et aussi : « 20 % des patients du centre Primo Levi sont des mineurs, témoins directs de ce qu’ont vécu leurs parents et leurs proches »
Je ne vais pas développer tous les aspects et toutes les composantes de l’évitement de connaissance et de reconnaissance des souffrances et pathologies psychiques des étrangers en France, et en Dordogne. J’avais déjà rédigé un texte en janvier 2013 qui est toujours disponible sur le site de la LDH de Chancelade : ldhsarlat.wordpress.com. Il s’agissait de dénoncer toutes les actions promues ou organisées par l’Etat pour négliger ou dénier les situations des exilés, d’en indiquer les conséquences délétères, et de proposer quelques points sur les conditions nécessaires des soins psychiques pour les étrangers.
Disons simplement la première cause du déni de la réalité des souffrances et pathologies psychiques des étrangers qui est que ce sont les préfets qui ont le pouvoir sur la reconnaissance de la clinique, et non les autorités de santé, et qu’ainsi la reconnaissance des souffrances psychiques des exilés en France est soumise à la loi du contrôle suspicieux, et de la réduction de l’immigration, et on observe des écrits de préfets qui contestent, en leur nom, le contenu même des examens cliniques de médecins psychiatres.
Et on observe aussi constamment, quand on a le souci de la santé psychique des étrangers, les effets dramatiques des complications administratives, et de déni de leurs situations par l’administration.
II)- Qu’est-ce que c’est que les psychotraumatismes, ou les états post traumatiques?
Disons très rapidement que les effets psychiques dus à des violences possiblement meurtrières, si elles ont toujours existées, ce sont celles dues à la première guerre mondiale qui ont heurté certaines consciences en Europe. Il a été alors défini ce que l’on appelait les névroses de guerre, ou les névroses d’effroi, ou les névroses traumatiques. Puis, ce sont les américains qui ont eu affaire, avec la guerre du Viet Nam, à ces perturbations, et aux demandes de reconnaissances, en particulier financières, de ces atteintes handicapantes par les « vétérans », les anciens soldats de cette guerre désastreuse. Les autorités sanitaires américaines ont alors défini le PTSD (le Post Traumatic Stress Disorder), qui a été traduit en France par Syndrome, ou Etat Post Traumatique, et c’est le terme diagnostic reconnu actuellement. Toutes fois, ce sont différents médecins psychiatres humanitaires et différents militants d’associations humanitaires, en particulier français, qui ont, en rencontrant des réfugiés, d’abord d’Amérique du Sud (Cf. Lebovici), puis du monde entier, travaillé à une compréhension clinique plus fine, et plus exacte de ces souffrances par l’attention à la nature singulière de l’atteinte psychique et de la compréhension de ces souffrances.
On en est là, et donc, on voit que tous les connaisseurs ou médecins ou psychologues qui parlent de ce que c’est que ces souffrances, sont dépendants de leurs tutelles ou appartenances socio-idéologiques. Ce qui est par exemple fortement exemplaire, c’est que la reconnaissance des névroses traumatiques ou PTSD a régulièrement négligé les populations civiles, et les populations des ennemis ou anciens ennemis. Par exemple , le livre de François LEBIGOT, « Traiter les traumatismes psychiques », pour être assez complet, considère le contexte social, politique, historique, et culturel, comme une composante sans conséquences de compréhension : ce n’est que la symptomatologie seule qui est à comprendre.
Très vite, je cite les différents symptômes des psychotraumatismes, et je me réfèrerai au PTSD, même si on peut critiquer cette notion de PTSD, et on pourra en discuter lors du débat.
On a donc 6 groupes de conditions :
1-Le sujet a été exposé à un évènement traumatique dans lequel le réel de la mort a été rencontré, et ceci avec une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur.
2- L’évènement traumatique est constamment revécu de différentes manières : ce sont là les symptômes d’intrusion selon le schéma d’intrusion du trauma dans l’appareil psychique.
3- Il y a des symptômes d’évitement qui vont de l’évitement d’occasions de souvenirs, à la restriction des pensées, et des affects.
4- Il y a des symptômes neurovégétatifs : troubles du sommeil, irritabilité, difficulté de concentration, et hyper-vigilance.
5- Le fait que tous ces symptômes durent plus d’un mois.
6- Le fait que cette perturbation entraine une souffrance significative, et une détérioration des fonctions sociales et relationnelles.
Mais je voudrais surtout indiquer le sens de ces états pour ne pas seulement les reconnaitre, mais aussi les comprendre.
a) Le premier sens, c’est que la dynamique de ces souffrances vient de l’effroi, de la frayeur. Cela n’est pas la peur, ce n’est pas la panique, c’est le vécu de l’irruption de la mort dans la vie par une action provoquée extérieurement, et lorsque cette action extérieure est réalisée par des humains, il s’agit du désir actif de négation ou de réduction dégradante de l’humain, de l’autre. Il s’agit là de ce que Christian LACHAL nomme, en reprenant la formule de Robert ANTELME au sortir des camps de concentration, de « l’inhumain de l’humain ». De là, l’atteinte psychique des traumas ne peut pas être considérée comme semblable aux atteintes par l’angoisse, car il y a, même si cela peut se produire des années après la situation traumatique, une rupture dans l’histoire, dans l’appartenance du sujet à lui-même.
b) Le deuxième sens des traumas, c’est que les souffrances traumatiques indiquent la blessure des liens d’appartenance des sujets, et que cette clinique apporte des éléments pour la compréhension d’autres formes de souffrances psychiques et sociales intriquées pour lesquelles l’environnement social et relationnel est pathogène, et ceci par fait organisationnel, ou par négligence.
C’est en particulier, à mon sens, ce qui est le cas pour ce que Jean FURTOS définit selon le terme de syndrome d’auto-exclusion (Cf. son ouvrage : « Les cliniques de la précarité », ou plus simplement le tout petit livre à 5€: « De la précarité à l’auto-exclusion »). Ce syndrome, c’est celui de sujets dont la vie est défaite par l’exclusion sociale, l’abandon social, l’humiliation sociale, et les sujets découragés renoncent à la reconnaissance sociale et reconnaissance de soi pour trouver la solution de la survie. FURTOS illustre la différence entre la précarité et la pauvreté par la formule selon laquelle « la pauvreté, c’est vivre avec peu, et la précarité, c’est vivre avec la peur ».
Cet état de renoncement de la pensée et de futur, et de casse des affects est défendu par la croyance qu’il y a là un état possible de vie, alors qu’il s’agit d’un état de relégation, et de faux-self.
La dynamique structurale des syndromes d’auto-exclusion a été très étudiée par René ROUSSILLON, et il la comprend comme due à la perte des identités d’appartenance.
Cette notion de la nécessité de reconnaissance des identités d’appartenance est donc, capitale pour comprendre, d’une part, la clinique et la souffrance des « sans », des « sans domicile fixe », des « sans travail », des « sans logis » des « sans famille », et des « sans papiers », des sujets dont les identités d’appartenances sont brisées, et d’autre part pour comprendre la maltraitance par les dénis de ces identités qui sont organisés par l’environnement relationnel, social, et politique.
c) Le troisième sens de cette clinique, c’est de donner à comprendre, et à défendre ce qu’est le besoin de sécurité, et l’empathie, et de s’opposer aux instrumentalisations de ces besoins humains.
Le besoin de sécurité, c’est en particulier René ROUSSILLON qui le définit, avec les apports du holding de WINNICOTT, et des théories de l’attachement de BOWLBY. Le besoin de sécurité, c’est la nécessaire protection des sujets, d’abord des enfants dans l’évolution, vis-à-vis de la détresse possible qu’induisent les situations et expériences de désappartenance des liens identitaires. L’instrumentalisation du besoin de sécurité, c’est l’utilisation de propagande de la forme étrange de l’autre, de la forme autre des identités d’appartenance des autres, et ceci pour la nommer comme menace vis-à-vis d’une identité normée, et ce avec la promotion d’une histoire ethno-centrée, et égo-centrée selon laquelle notre histoire, même trouble comme toute histoire, nous permettrait de donner des leçons d’histoire aux autres histoires. Le discours de Dakar de Nicolas SARKOZY est très démonstratif de cette idéologie.
L’empathie, c’est la disponibilité à comprendre, non seulement comment se sentent, se pensent, souffrent, les autres, mais pourquoi.
Or, pour les sujets en situation de psychotraumatisme, comme pour les sujets en situation de précarité, la communication des effets du trauma, de la transformation et des modalités de transformation de leur être, ne peut se faire suffisamment par le langage partagé. Ce qui s’est produit pour ces sujets, c’est une faille du sentiment de réalité, et une rupture relationnelle, et la symptomatologie de la répétition traumatique illustre bien cette effraction de la réalité pensée par le réel de la mort dans le sujet. Pas forcément par identification à l’agresseur, mais en tous cas, par intrusion de l’identification au scénario de l’agression, le sujet traumatisé a un interlocuteur, plus ou moins épisodique, qui le convoque et le soumet à l’effroi et à ses conséquences.
Dans l’exemple que j’ai cité au début, on voit comment Françoise SIRONI, pour comprendre ce qui se passe pour son patient, doit comprendre, et ce qu’il vit, et ce qu’il a vécu, et la nature de ce qui lui a été fait : c’est ça l’empathie, y compris la haine vécue, non pas en alliance contre l’agresseur, mais contre l’agression.
Claire MESTRE est très attentive à la communication et aux conditions de communication dans le travail de soins psychiques avec les situations de psychotraumatisme, et elle en parle dans différents articles de la Revue L’AUTRE. Elle s’indigne constamment et vigoureusement contre les effets désastreux de la politique xénophobe qui traite avec suspicion ou surdité, les récits des exilés. Mais elle est aussi très attentive à la transmission du trauma, particulièrement des mères vis-à-vis de leurs bébés. Dans un chapitre, écrit par elle et des collègues, intitulé « Face aux traumatismes maternels : soins et protection de la mère, et de l’enfant », de l’ouvrage Manuel des psychotraumatismes, elle décrit ces situations, et les conditions de consultations transculturelles qu’elle organise, avec son équipe, à la maternité de Pellegrin, avec la PMI, avec les services sociaux, et à la consultation de l’hôpital Saint André. Elle y organise par l’association de deux références, la psychanalyse, et l’anthropologie, dans une méthodologie complémentariste, des prises en charge qu’elle nomme comme étant « à géométrie variable ».
Christian LACHAL est aussi soucieux de ces questions, et en particulier dans un article encore du Manuel des psychotraumatismes qui est intitulé : « Contre-transferts et traumatismes », et ceci pour souligner la nécessité de travailler les représentations induites par le sujet traumatisé, ce qu’il nomme « les scénarios émergents ».
Il rejoint là l’hypothèse de René ROUSSILLON selon laquelle il y a une analogie entre la relation mère-bébé, et la relation thérapeute-patient. Il ne s’agit pas là d’infantiliser les patients, mais de prendre acte de leurs situations de fragilité et de dépendance, justement pour ne pas l’utiliser, ne pas y projeter ses fantasmes, ses pensées, ses sentiments, ses désirs, et même ses valeurs.
Cela rejoint d’une autre manière, le constat que fait Jacques SEMELIN, historien et politologue à propos des génocides, massacres, et des résistances, dans son ouvrage « Purifier et détruire », constat selon lequel il ne faut pas compter sur les auteurs et responsables de ces crimes pour comprendre ce qui les anime, mais que ce sont les victimes qui peuvent le mieux accéder à la compréhension des désirs de destructivité et de négation qu’ils ont subis.
D’une autre manière encore, on retrouve cela chez Claire MESTRE qui dit que c’est à partir de la fragilité qu’elle trouve l’énergie de ses combats.
« Alors toujours, dans ma faiblesse, je me demande comment résister. Par les mots d’abord. Par la présence. Par la solidarité. Par le rêve. Plus la menace pèse, plus faut s’obstiner à accueillir ces vies minuscules que nous rencontrons chaque jour. ».
III)- Quels sont les enjeux cliniques, idéologiques, sociétaux, et politiques de ces réalités?
Evidemment, je compte sur Claire MESTRE pour parler de ces questions.
Je citerai simplement quelques lignes du Livre blanc du Centre primo Levi : « D’après les professionnels, l’invisibilité de cette population est un premier fait significatif : soit on ne la voit pas et donc elle n’est pas prise en compte dans les politiques publiques, soit on l’ignore délibérément et le résultat est le même, rien n’est fait pour mettre en place des dispositifs adaptés ».
Et : « L’importance numérique de la population concernée, la spécificité de ses troubles – et donc des dispositifs à mettre en place – ainsi que l’impact psychosocial sur l’entourage, en font un enjeu de santé publique majeur.[…] il n’y pas de véritable politique de santé publique qui intègre les différents déterminants de santé au-delà du seul soin, en explicitant et en coordonnant les actions en direction des migrant·e·s. Or, pour les professionnels interrogés lors de la rédaction de ce livre blanc, on ne peut pas appréhender le soin des exilé·e·s victimes de la torture selon une approche uniquement médico-psychologique ».
Ce qu’ouvre ici Primo Levi, et ce que nous transmettent les personnes ayant vécues des violences ou des tortures, c’est qu’au lieu de faire l’apologie de la vengeance pour soulager les victimes, qu’au lieu de considérer les étrangers comme des suspects du profit, le profit humain partagé pourrait être l’accueil des étrangers souffrants de pays insécures, ou maltraitants, et ce pour imprégner les relations diplomatiques de ces connaissances et reconnaissances.
De là, aussi, je souhaite qu’avec le débat de ce soir, il y ait une mobilisation pour qu’une structure de réflexion et d’action se développe à Périgueux, et en Dordogne afin de développer des réalisations de reconnaissances, de visibilité et de créativités sociales, personnelles, culturelles, éducatives, scolaires et psychiques des sujets étrangers et marginalisés. Que se mettent en place des coordinations de moyens d’aides et de soins entre les différentes structures pour la mise en complémentarité des différentes actions possibles. Que les CHRS ne décident plus sans concertation avec les psychiatres qui suivent une famille de l’envoyer dans un autre département. Que les services hospitaliers ne renvoient pas des patients parce qu’ils n’ont pas de couverture sociale, ou parce qu’ils ne sont pas dangereux, que l’on ne soit pas dans les situations de fermeture parce que l’on n’a pas d’interprète. Alors, créons une structure de coordination des aides et soins pour les reconnaissances cliniques psychiques, sociales, culturelles et créatives, et familiales des étrangers.
Le Comité Pour les Soins et la Protection des Etrangers et des Personnes en Situation de Précarité se réunira après les vacances de printemps, et vous invite à vous associer à cette dynamique.
Et puis, pourquoi pas la création à Périgueux d’une « Maison du peuple et des peuples » que la mairie pourrait promouvoir?
Pour terminer, je voudrais dire quelques mots du livre très récemment paru, qui est intitulé « Je t’écris de… », et qui est une correspondance entre Marie Rose MORO, Psychiatre, anthropologue et toi, Claire MESTRE, psychiatre, et anthropologue aussi.
Il s’agit là d’une belle et bienveillante décision que vous avez prise, Marie Rose MORO et toi, de vous écrire, et de prévoir la publication de cette correspondance qui a eu lieu d’avril 2010 à avril 2012.
Marie Rose MORO, et toi, vous êtes amies, vous vous connaissez depuis plus de 20 ans, vous travaillez ensemble, et à distance, et cette correspondance, qui est bien d’ici, et d’ailleurs, est une révélation croisée de vos humanités soucieuses, rigoureuses, et chaleureuses, de vos curiosités, de vos voyages, de vos rencontres et connaissances, de vos émotions, et de vos actions de défense de la clinique et de la reconnaissance.
On trouve de tout ça dans cette correspondance, ainsi que des récits de situations humaines transculturelles, des témoignages de l’amitié, et puis des adresses, des adresses de livres, de films, de références de langues, de cultures, et de pensées, des lieux, et des lieux de gastronomie.
Je recommande passionnément cet ouvrage dont la forme, une correspondance, et les contenus sont des témoignages de ce que la vie peut être belle. Pour cette beauté du monde, comme diraient Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau, je te propose de prendre parole, et place.
Francis REMARK, Médecin psychiatre, le 24 avril 2013
L’euthanasie par compassion ? Vendredi 26 avril à Périgueux Débat avec Emmanuel Hirsch
Publié : 26/04/2013 Classé dans : Infos locales Poster un commentaireAmnistie sociale : la gauche vole en éclats
Publié : 26/04/2013 Classé dans : Infos diverses, Travail, droits, accords, législation.. Poster un commentaire
Mediapart
Après la fête de mariage, le réveil endeuillé. Mercredi matin, à 8 h 30, la seule mesure sur laquelle l’ensemble des partis de la gauche parlementaire s’était entendu depuis un an, avec le mariage pour tous, a été enterrée. L’amnistie sociale, votée il y a trois semaines à l’unanimité de la gauche sénatoriale sous la bienveillance de la ministre Christiane Taubira, se voit désormais objecter une « opposition claire et ferme » de l’exécutif. Le ministre des relations avec le parlement, Alain Vidalies, pourtant favorable en privé à cette loi, annonce la nouvelle. Sur France Info (à partir de 6’30) :
Au même moment, sur BFM TV, Bruno Le Roux, président du groupe PS, estime que « ce texte ne peut pas être adopté en l’état par l’Assemblée nationale ». Comme justification, il dit ne « pas supporter les violences commises aujourd’hui », et « ne pas vouloir (les) légitimer d’une quelconque façon », mettant sur le même plan les cas visés par le texte du Front de gauche avec les mouvements d’agriculteurs en Bretagne et les violences des anti-mariage (à partir de 3’05).
Trois heures plus tard, alors que le texte est examiné en commission des lois à l’Assemblée, l’affaire est entendue. Hormis le rapporteur Marc Dolez (député du Front de gauche) et l’écologiste Sergio Coronado, qui défend en vain plusieurs amendements, les articles sont rejetés les uns après les autres, sous l’œil du président Jean-Jacques Urvoas, qui s’est déjà publiquement opposé au texte.
Seul le Marseillais Patrick Mennucci a rompu les silences, plus ou moins complices, dans les rangs socialistes. « Pour une fois, je vais exprimer un désaccord », annonce-t-il. Il dit vouloir voter pour l’amnistie, car « c’est une question purement symbolique », un « signe d’équilibre politique donné à notre électorat », celui-là même qui a « parfois du mal à comprendre notre politique ». Froidement interrompu par son collègue et camarade Jean-Jacques Urvoas, qui lui rappelle qu’il n’est « pas à une réunion du PS », Mennucci s’emporte. « Entendre à la radio que je n’ai pas le droit de voter pour, je ne l’accepte pas ! lâche-t-il. Ça suffit, cette façon de nous traiter ! Je crois que j’ai le droit de dire ce que je dis : je pense que nous faisons une erreur ! »
Depuis l’élection de François Hollande, ce texte est un boulet pour le gouvernement. Fin mai 2012, en marge d’un déplacement à Marseille pour lancer la campagne des législatives, Jean-Marc Ayrault nous avait confié : « L’amnistie, ce n’est pas notre genre. » Plusieurs ministres étaient contre, notamment Manuel Valls. François Hollande, quant à lui, avait dit le contraire à Jean-Luc Mélenchon, assure ce dernier. « Quand il nous a reçus en juin dernier, il nous a dit son accord, dit Martine Billard, co-présidente du Parti de gauche. Il nous a autorisés à en parler aux médias à notre sortie. » « Il nous avait même répondu “Ça aidera” », selon Mélenchon. Mais le cabinet du président n’a jamais été « enchanté » par le projet. Les violences commises lors d’une manifestation des salariés de Goodyear cet hiver n’ont fait que conforter cette prévention – plusieurs représentants des forces de l’ordre avaient été blessés, parfois grièvement.
Au Sénat, déjà, le gouvernement avait hésité (lire notre article) avant de donner son feu vert, aiguillonné par un groupe socialiste favorable au texte. Mais depuis une dizaine de jours, il se murmurait que l’Élysée n’était plus très chaud. Comme souvent, c’est François Hollande qui a tranché au dernier moment.
Quitte à désavouer la ministre de la justice, Christiane Taubira, au lendemain de son jour de gloire du mariage pour tous. Au Sénat, elle s’en était remise à la « sagesse » de la chambre et avait même plaidé pour élargir le texte (en augmentant légèrement sa durée pour inclure des faits dans les territoires d’outre-mer).
« Nous devons d’abord remettre de l’ordre dans la maison »
Mais c’était il y a deux mois. Depuis, le contexte a changé, estime l’exécutif. Des incidents répétés ont émaillé les derniers jours des débats sur le mariage pour tous. Les violences commises à l’endroit des forces de l’ordre ou des journalistes (lire notre reportage aux Invalides) ont été vivement dénoncées par la gauche. « On entend monter la petite musique sur le “deux poids deux mesures”. Cela crée une vraie difficulté… », estime un cadre socialiste. Difficulté d’autant plus grande que le PS estime que ces violences ont affaibli l’opposition, qui ne les a pas dénoncées clairement.
« Pour le gouvernement, la position a aujourd’hui un caractère d’évidence parce qu’on ne peut pas accepter les faits de violence. C’est un point de vue qui relève de l’opinion commune », dit-on à Matignon. « Cette loi reviendrait à envoyer un signal un peu laxiste… Et puis, on est lancé dans la bataille pour l’emploi : on a bien d’autres priorités ! » entend-on aussi à l’Élysée. C’était d’ailleurs le sens de la courte intervention télévisée de François Hollande à la sortie du conseil des ministres mercredi : « Quand les passions dégénèrent en violence, elles doivent être condamnées. (…) Je cherche et j’appelle chacun à chercher l’apaisement, c’est-à-dire la compréhension, le respect. Parce que tout maintenant doit être consacré à ce qui est l’essentiel : la réussite économique de notre pays et la cohésion nationale. »
La majorité croit aussi que l’opinion exprime « une demande de rigueur généralisée » après l’affaire Cahuzac. « On nous demande de nous en tenir à la loi, à la République », dit un élu PS. Pour Laurent Baumel, cofondateur de la “gauche populaire”, « l’opinion nous a déjà reproché d’avoir abrogé le jour de carence pour les fonctionnaires. Ce serait une fois de plus donner un symbole que la gauche ne s’occupe que des corporations ou des structures dont elle est proche ». « Je ne suis pas contre, mais ce n’est pas opportun de le faire, explique de son côté le député Michel Destot. Nous devons d’abord remettre de l’ordre dans la maison, et ça commence par l’organisation des chantiers parlementaires. Nous ne devons pas nous disperser et concentrer nos efforts sur le redressement économique du pays. »
Une position partagée par Arnaud Leroy, proche d’Arnaud Montebourg. « Il y a certainement du bon dans cette loi, mais il y a aussi d’autres priorités que de voter un texte mal ficelé ! Mettons-le plutôt à l’ordre du jour de la prochaine conférence sociale ! » Raison invoquée par les députés : le mauvais « signal » envoyé aux entrepreneurs. « On ne peut pas leur donner le sentiment qu’on va voter un permis de casser, poursuit Leroy. Il faut apaiser les choses si on veut relancer l’activité… »
Comme nombre de ses collègues socialistes, il ne cache pas son exaspération vis-à-vis du Front de gauche, en particulier de Jean-Luc Mélenchon. « Qu’est-ce que vous voulez qu’on deale avec eux, s’emporte Leroy. On ne va pas jeter de l’huile sur le feu pour un mec qui veut surtout se faire mousser dans les médias. On ne cède pas au chantage. » Plus loin, un autre député PS y va cash, mi-blagueur mi-sérieux. « Les communistes, faut leur donner des claques… »
Mais pour d’autres au PS, ce refus abrupt est contre-productif. « On voudrait redonner de l’air à Mélenchon, qu’on ne ferait pas mieux… », s’agace Guillaume Balas, responsable du courant de Benoît Hamon au PS. Selon lui, la forme pose problème. « On sort juste d’un séminaire où on nous dit qu’on va parler très en amont des sujets à venir, avec le parti comme avec les parlementaires, afin d’être plus cohérents dans nos votes. Et là bing !, on découvre deux jours après, à la radio, que le gouvernement pense différemment qu’il y a trois semaines au Sénat. »
« C’est n’importe quoi !, s’étrangle un député, à l’abri du off. On savait que le texte sorti du Sénat devait être retravaillé et on n’a rien fait. Comme si personne n’avait fait de suivi à l’Élysée ou à Matignon. » Un responsable du PS ose une explication cruelle : « Le problème de fond, c’est que ce texte considère les violences syndicales sous Sarkozy comme de la légitime défense ou une circonstance atténuante. Mais on se rend compte que les violences syndicales sont les mêmes sous Hollande. »
Pour Emmanuel Maurel, responsable du courant de l’aile gauche du PS, la résignation guette. « C’est rageant et navrant, regrette-t-il. On s’enferre dans un rapport de conflictualité avec le PCF, ce qu’il ne faut exactement pas faire en période de crise. »
PS et Front de gauche : « Après le mariage, le divorce »
Le vote unanime de la gauche au Sénat avait pourtant marqué une tentative de réconciliation entre le PS et les communistes, à un an des municipales. En vain : en deux semaines, le fossé s’est à nouveau considérablement creusé, comme en témoigne le recours au vote bloqué, samedi au Sénat, pour faire adopter l’accord trouvé entre les partenaires sociaux (Ani, lire notre article), ainsi que le refus dans la même commission des lois de ce mercredi de la proposition de loi des licenciements boursiers, également portée par le Front de gauche. « À un moment, il faut dire stop », justifie un proche de François Hollande.
« Cette décision est totalement incompréhensible. Le gouvernement bafoue la démocratie parlementaire, estime le secrétaire national du PCF Pierre Laurent. On ne parle pas de syndicalistes violents, mais de gens qui essaient de faire vivre leur famille et qui, pour se faire entendre, ont lancé de la peinture sur des préfectures, bloqué des autoroutes ou refusé de donner leurs empreintes digitales… » « Les propos de Vidalies sont d’une extrême gravité, abonde Éliane Assassi, présidente du groupe au Sénat. Le gouvernement devrait être plus attentif à ce qui se dit dans le pays où monte la déception. » « Visiblement, la ligne Valls a encore gagné », s’insurge aussi Martine Billard, co-présidente du Parti de gauche.
La décision gouvernementale est d’autant plus mal accueillie que les communistes avaient accepté une version très édulcorée du texte, par rapport à leurs propositions initiales. « On avait fait le choix de ne pas en rajouter, de ne pas reprendre des points écartés par le Sénat, a rappelé André Chassaigne, chef de file du Front de gauche à l’Assemblée. On ne voulait pas être dans la surenchère. Le texte était calé, cadré, réfléchi… et bien plus limité que l’amnistie de Chirac en 2002 ! »
De fait, seuls les « conflits du travail » et les « mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux, liés au logement » étaient concernés. Et uniquement les condamnations de cinq ans ou moins, pour des délits pour dégradation de biens et diffamation exclusivement, commis entre le 1er janvier 2007 et le 1er février 2013. Enfin, les mouvements de désobéissance civile, comme les faucheurs d’OGM ou les anti-nucléaire, étaient déjà exclus de cette amnistie, comme les militants du collectif d’aide aux sans-papiers, du Réseau éducation sans frontières (RESF).
Au bout du compte, « quelques dizaines de cas » étaient visés, selon l’estimation de Christiane Taubira elle-même. Le symbole était quand même fort. Parmi les quelques privilégiés de l’amnistie, le syndicaliste de Continental, Xavier Mathieu. Après avoir appris le renoncement de l’exécutif, il dit sa colère, sur France Info. « Ils ont quand même oublié que c’est en grande partie la classe ouvrière qui les a élus et ils sont en train de la massacrer »…
« C’est un signal politique qui tourne le dos au monde du travail, se désole Sergio Coronado. Après le traité européen, le crédit-impôt de 20 milliards, c’est un nouvel acte du glissement du gouvernement loin de cette ambition sociale-démocrate qu’il voulait incarner. » Le député écologiste se dit « scandalisé par ce changement de pied brutal » : « Ils auraient pu avoir l’élégance de laisser la loi être examinée, quitte à la dépouiller complètement pour n’en voter qu’une ossature. »
À moins d’une bien improbable révolte collective des députés de gauche le 16 mai, il n’y a plus aucune chance que ce texte soit adopté. Seule possibilité pour les communistes : le déposer à nouveau dans le cadre de leurs niches parlementaires au Sénat et l’Assemblée nationale. « Ça veut dire pas avant 2014 pour nous ici à l’Assemblée ! » fustige Marc Dolez. Autre hypothèse, qui ne garantit pas davantage de célérité : un renvoi en commission des affaires sociales, et non des lois, afin de retrouver l’esprit de dialogue du Sénat à l’Assemblée.
D’ici là, l’épisode semble avoir contribué à rebattre davantage encore les cartes de la majorité autour de François Hollande. Au risque de les brouiller plus encore. La décision de renoncer à cette amnistie sociale a été saluée par François Bayrou, comme par des représentants du Medef. « Le message est clair, déplore Martine Billard : Patrons, faites ce que vous voulez. Ouvriers, taisez-vous ! »
Le porte-parole du PCF, Olivier Dartigolles, écrit dans un communiqué : « Après le mariage, le divorce. » Si André Chassaigne et Pierre Laurent refusent de parler de « rupture », la crispation est nette. Au point que le président du groupe PCF à l’Assemblée, jusqu’ici très hostile à la manifestation du 5 mai, annonce finalement sa venue aux côtés de Mélenchon. « C’est sûr que cet enterrement est un formidable appel à aller défiler le 5 mai … », lâche Sergio Coronado, proche d’Eva Joly. Ira-t-il lui-même ? « Joker. »
La boîte noire :Toutes les personnes citées, sauf mention contraire, ont été interrogées à l’Assemblée ou par téléphone, ce mercredi. Contacté, le cabinet de Christiane Taubira ne nous a pas rappelés.
Pour les migrants aussi, il va y avoir un «choc de simplification»
Publié : 26/04/2013 Classé dans : Etrangers Poster un commentaire
Mediapart
« La fermeté n’est pas la fermeture », a lancé Manuel Valls, le ministre de l’intérieur, pour ouvrir le débat au Sénat sur l’immigration professionnelle et étudiante qui s’est tenu le 24 avril dans la soirée. Promis par François Hollande lors de la campagne présidentielle, ce rendez-vous annuel – une première – doit se poursuivre à l’Assemblée nationale le 29 mai. Une dizaine d’orateurs représentant l’ensemble des groupes politiques se sont succédé à la tribune, dans un climat serein, qui peut s’expliquer par l’absence d’échéances électorales immédiates, sur un sujet pourtant propice à la polémique.
Ce débat, sans vote, a été l’occasion pour le gouvernement de dévoiler ses intentions en matière d’immigration professionnelle et étudiante, alors qu’un projet de loi sera présenté « dans quelques semaines ». « La France est belle car elle est diverse. Elle a mille visages », a entamé le ministre de l’intérieur, rappelant que 19 % des personnes vivant en France sont des immigrés ou des fils ou filles d’immigrés. « L’immigration doit répondre aux besoins de notre économie et permettre le rayonnement de notre pays dans le monde », a-t-il aussitôt enchaîné se défendant de tout « angélisme ». « Nous connaissons les peurs, les pulsions qui peuvent exister », a-t-il indiqué en référence aux « sondages d’opinion ».
« Réalisme », « pragmatisme » : sa vision utilitariste va de pair avec l’idée que « pour être acceptée l’immigration doit être maîtrisée et contrôlée ». Pour lutter contre « les clichés, les raccourcis, les outrances », il a rappelé les évolutions des principaux flux migratoires, stables au cours des dernières années. En 2012, selon les chiffres officiels, un total de 193 655 titres de séjour ont été délivrés, parmi lesquels 59 000 à des étudiants et 17 000 à des salariés. Les 100 000 autres personnes sont venues dans le cadre de l’immigration familiale, pour des raisons de santé ou pour des motifs humanitaires. Elles peuvent elles aussi accéder au marché du travail. Cet apport, comme le souligne le rapport du Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration préparé en vue du débat parlementaire, est « circonscrit en volume et bien encadré ».
Manuel Valls partage avec l’exécutif précédent la conception selon laquelle les travailleurs étrangers doivent venir à condition qu’ils aient décroché un contrat de travail en France, à la différence de ce qui se passe dans certains pays, comme le Canada, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande où les immigrés sont sélectionnés en fonction de leur potentiel. Mais le ministre de l’intérieur se démarque néanmoins de la politique d’« immigration choisie » mise en place par Nicolas Sarkozy. Devant les sénateurs, il a souligné que l’immigration familiale ne peut être qualifiée de « subie », selon l’expression utilisée au cours du quinquennat passé, car elle résulte de ce que la France, en tant qu’État de droit, respecte les conventions nationales et internationales garantissant le respect de la vie privée et familiale.
Les flux d’entrées étant modestes comparativement à ceux observés dans les pays de développement économique de même ordre, Manuel Valls et, dans son sillage, bon nombre d’intervenants ont souligné le retard pris par la France en matière d’attractivité. « Si nous restons avec notre droit complexe, nous serons dépassés », a-t-il affirmé promettant des règles « plus stables, plus lisibles, plus simples ».
Reprenant les annonces faites récemment avec la ministre de l’enseignement supérieur Geneviève Fioraso, il s’est engagé à généraliser les titres de séjour pluriannuels afin d’éviter chaque année les renouvellements qui engorgent les préfectures et font perdre du temps à tout le monde. Notant le foisonnement des titres de séjour – pas moins de 15 différents coexistent –, il a jugé nécessaire une refonte. En ce qui concerne les listes de métiers en tension, pour lesquels les employeurs peuvent recruter plus facilement des étrangers, le ministre a reconnu que « personne ne s’y retrouve » et envisagé une actualisation des besoins à l’échelle des régions avec les partenaires sociaux. Le système actuel est « illisible », a-t-il insisté, en raison de son incohérence, les Sénégalais, les Camerounais et les Gabonais, par exemple, n’ayant pas accès aux mêmes métiers en fonction des accords bilatéraux qui ont été signés avec leur pays d’origine. À propos des étudiants, il a martelé que « la France ne doit pas rester à la traîne ». « Nous perdons du terrain, alors que les flux d’étudiants augmentent partout dans le monde », a-t-il alerté.
« Une France qui s’ouvre est une France qui se renforce »
L’Allemagne a souvent été citée. Geneviève Fioraso a rappelé que ce pays venait de dépasser la France en matière du nombre d’étudiants accueillis. « Nous sommes passés de la 3e à la 5e place, notre position est fragile, les meilleurs étudiants en sciences se détournent », s’est inquiétée la ministre dénonçant les « ravages » de la politique mise en œuvre par Nicolas Sarkozy et en particulier la circulaire Guéant, supprimée dans la foulée de l’élection de François Hollande.
À la défiance s’ajoute, selon elle, la complexité des démarches. « Notre réputation a été durablement entachée, nous devons inverser la tendance », a-t-elle estimé, s’engageant à créer des titres pluriannuels pour les étudiants, à leur permettre de travailler pendant un an après l’obtention de leur diplôme, à améliorer leurs conditions de vie et à attribuer aux doctorants des visas permanents rendant possibles des visites régulières. Elle a fixé deux priorités : se tourner vers les pays émergents et poursuivre les relations avec les pays d’Afrique et notamment subsahariens où, a-t-elle fait remarquer, « la Chine est de plus en plus présente ».
« Une France qui s’ouvre est une France qui se renforce », a-t-elle souligné. Sans trancher la question des droits d’inscription, que certains voudraient augmenter pour les étudiants étrangers, elle a considéré qu’il ne fallait pas exagérer l’afflux de devises que cela pourrait générer et rappelé que le niveau peu élevé des frais constituait justement un élément d’attractivité dont le pays ne pouvait pas forcément se passer.
Ex-ministre de l’éducation nationale et ex-ministre de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement, au nom des radicaux de gauche, a salué de « très bonnes orientations » qu’il a jugées « cohérentes avec le pacte de compétitivité ». Dans son sillage, André Reichardt, pour l’UMP, a reconnu un « large consensus » à propos des étudiants étrangers « indispensables pour gagner la bataille du soft power ». Il s’est même payé le luxe d’évoquer la nécessité d’une politique « généreuse », sans toutefois oublier de mentionner les 3 milliards d’euros que coûterait leur accueil aux finances publiques, laissant entendre qu’il n’était pas défavorable à une hausse des frais d’inscription. « L’immigration contribue à l’accroissement de notre richesse », a-t-il admis, plaidant en faveur d’une politique « maîtrisée, utile pour notre pays ».
Esther Benbassa, du groupe écologiste, s’est elle aussi déclarée favorable à une « forme de participation en fonction des ressources » et a défendu l’idée d’enseignements dispensés en anglais. Tous se sont prononcés en faveur d’un « choc de simplification » concernant les démarches administratives à effectuer.
Dans cette ode à la « mobilité » et à l’« attractivité », quelques voix se sont élevées pour rappeler la présence sur le territoire de centaines de milliers d’étrangers en situation irrégulière. Cécile Cukierman, du groupe communiste, a demandé la régularisation de ces sans-papiers, qui vivent en France, travaillent et parfois paient des impôts. Elle a estimé bienvenu ce débat, mais, appelant de ses vœux une réforme en profondeur du Code de l’entrée et du séjour, elle a regretté l’immobilisme, voire le renoncement du gouvernement en matière de droits des étrangers. Quant à Barisa Khiari, du groupe socialiste, elle a souligné l’effort d’« inclusion » à réaliser en direction des femmes immigrées nombreuses à travailler ou à vouloir le faire sans en avoir la possibilité.
Quels que soient leurs désaccords, les orateurs se sont félicités de la tonalité « apaisée » des échanges, comme si, après les débordements auxquels a donné lieu l’examen du projet de loi sur le « mariage pour tous », ils se trouvaient presque surpris de pouvoir de nouveau discuter sans s’injurier.
La boîte noire :